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J’ay l’ame trop cruelle :
Chacun veut de sa dame allonger le destin,
Et moy je fay des vœux pour avancer la fin
D’une qui m’est si belle.

Il faut bien que la rage ait pouvoir dedans moy,
Et que le troublement, qui me donne la loy,
Soit d’une estrange sorte,
Quand, vivant tout en vous, ô mon mal bien-aimé !
N’ayant jour que de vous, par vous seule animé,
Je vous souhaite morte.

Mais plustost les hauts cieux et tous les élemens,
Soient remis pelle-melle en confus broüillemens,
Le sec avec l’humide :
Puissent tous les humains sans remede finir,
Ains que je voye, helas ! vostre mort advenir,
Ô ma belle homicide !

Il est vray que pour vous j’ay beaucoup enduré,
J’ay porté le regard et l’esprit égaré,
J’ay eu la couleur sombre :
J’ay pleuré, j’ay crié, mais souvent sans raison,
Car j’estoy si troublé de jalouse poison,
Que je craignoy mon ombre.

Puis quand tous ces soucis pour vous m’iroient suivant,
Encore aux ennemis on pardonne souvant,
Quand leur fin est prochaine ;
Joint qu’un trait de vos yeux doucement élancé,
Et vos propos si doux m’ont trop recompensé
De tant et tant de peine.

Ô dieux, qui d’icy bas les destins gouvernez,
Et qui des supplians les malheurs destournez,
Oyez ce que je prie !
Rendez saine ma dame avec un pront secours,
Et, s’il en est besoin, retranchez de mes jours
Pour allonger sa vie.

Et toy, dieu cynthien, qui fais tout respirer,
Si dès mes jeunes ans on m’a vu t’adorer,
Viens alleger ma dame ;
Chasse au loin sa langueur, rens luy son teint vermeil ;
Soleil, tu aideras à cet autre soleil,
Qui esclaire en mon ame.


LVI


Que ne suis-je endormy durant l’obscure nuict,
Qui retient mon aurore et la cache à ma vuë !
Ô plaisir peu durable ! ô douleur mal prevuë !