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de sa belle. À ses regrets, à ses tendres souvenirs, se mêlait quelque peu de jalousie et d’inquiétude[1].

Après neuf mois de séjour, le poëte en eut assez. Il obtint la permission de retourner dans sa patrie ; mais, avant de quitter la Pologne, il lui lança des adieux foudroyants. Inspirée par la colère, cette diatribe est un de ses meilleurs opuscules. C’est même un des morceaux les plus achevés qu’ait produits le seizième siècle : il a, sous le rapport des idées, comme sous le rapport du style, une allure toute moderne[2]. Le retour de Desportes fut une fête pour les savants et rimeurs, qui puisaient dans sa bourse et profitaient de son crédit. Jean Daurat écrivit en latin deux chants de triomphe[3].

Il venait seulement de partir, lorsqu’un courrier apporta la nouvelle inattendue que Charles IX était mort le 30 mai 1574[4]. La couronne, dès lors, passait sur la tête de son frère, le duc d’Anjou. Le roi de Pologne s’apprêta donc à regagner son pays ; mais il ne voulait pas y rentrer les mains vides. Aussi mit-il dans sa valise pour trois cent mille écus de pierreries, souvenirs précieux qu’il choisissait parmi les diamants de la couronne. Le tour exécuté, il partit à cheval, pendant la nuit du 16 au 17 juin, escorté seulement de sept ou huit compagnons : ils firent vingt lieues d’une seule traite, poursuivis par une troupe de cavaliers qui ne leur permettait point de ralentir leur course. Ils eurent le bonheur d’atteindre la Moravie et de mettre leur proie en sûreté au delà des frontières autrichiennes. Noble évasion pour un prince qui portait alors deux couronnes ! Les Polonais se décidèrent sans peine à proclamer sa déchéance.

Une fois à l’abri des poursuites, le prince traversa lentement l’Allemagne et l’Italie du Nord ; le 5 du mois de septembre seulement, il rentrait en France par le Dauphiné. Les amis et commensaux de Desportes attribuaient son retour aux chants du poëte : comme la lyre d’Orphée mettait en mouvement les pierres et attirait les animaux sauvages, ils prétendaient que les accents du barde moderne avaient évoqué le roi de Pologne. Les diamants cachés dans sa valise, c’étaient des dons qu’il rapportait pour lui et pour les siens. Le littérateur officiel devait,

  1. Le mot de Marie, placé dans la neuvième strophe, prouve que ce morceau avait pour objet la princesse de Condé.
  2. Voyez p. 424.
  3. Voyez p. 491 et 492.
  4. La dernière strophe de l’Adieu à la Pologne prouve qu’il fut écrit avant l’arrivée de l’estafette, qui eut lieu le 13 ou le 14 juin. Desportes n’était donc pas resté tout à fait neuf mois hors de son pays.