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Eh bien ! elle mourra. M’en faut-il tourmenter ?
Rien de mieux en ce tans je ne puis souhaiter ;
Car s’elle m’est ravie,
Et que pour tout jamais son œil me soit couvert,
Mon cœur à tant d’ennuis ne sera plus ouvert,
Sa mort sera ma vie.

Je n’auray plus l’esprit de fureurs embrasé,
Mon lict ne sera plus si souvent arrosé,
Et la nuict solitaire
Ne m’orra tant de fois les hauts cieux blasphemer,
Ni la loy des destins qui me force d’aimer,
Quand moins je le veux faire.

Si tost que son beau corps sera froid et transi,
Sur le point de sa mort je veux mourir aussi,
La sentence est donnée ;
Car ma vie à l’instant de regret finira,
Ou par glaive ou poison du corps se bannira
Mon ame infortunée.

Avec ce dernier acte à tous je feray voir
Que moy seul, en vivant, meritoy de l’avoir
Pour mon amour fidelle :
Car de tant de muguets, qui l’aiment feintement,
Je suis seur que pas un, fors que moy seulement,
Ne se tûra pour elle.

Tous mes maux prendront cesse en ce commun trespas.
Je ne douteray[1] plus que jamais icy bas,
Son cœur de moy s’estrange ;
Et j’aime trop mieux voir nostre mort arriver
Que, si vivans tous deux, je m’en voyois priver
Par un malheureux change.

Ô mort, haste-toi donc ! fay ce coup glorieux,
Et de ton voile obscur couvre les plus beaux yeux
Que jamais fit nature :
Separe un clair esprit d’un corps parfait et beau.
Tu mettras avec elle Amour et son flambeau
Dedans la sepulture.

Las ! en parlant ainsi, je sens soudainement
Un spasme, une foiblesse, un morne estonnement,
Qui pallit mon visage ;
Ma langue s’engourdit, mes yeux sont pleins d’horreur ;
Puis en moy revenu, despitant ma fureur,
De ces mots je m’outrage :

Ô méchant que je suis, ingrat et malheureux !
Je ne merite pas d’estre dit amoureux,

  1. Craindrai.