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Guary sa veuë et luy blesse le cœur,
Mesme à ses yeux donne plus de lumiere,
À celle fin de mieux voir ma langueur.


LV


La beauté de nostre âge à nulle autre égalée,
Par qui le roy des cœurs son empire maintient,
Langüit dedans un lict, et la cour desolée
En crainte attend la fin du mal qu’elle soustient.

Amour, que penses-tu ? quel bois, quelle vallée
De Cypre ou d’Amathonte en ce tans te retient ?
Ne connois-tu, pauvret, que son mal t’appartient,
Et que ta destinée en la sienne est meslée ?

Nous devons bien tous deux avoir l’esprit transi
En ce courroux du ciel, qui nous menace ainsi
De voir dès le matin nostre clarté ravie.

D’autant que si ce mal d’elle est victorieux,
Tu perdras ton empire et je perdray la vie :
Car mon cœur et tes traits logent dedans ses yeux.


STANCES


En fin les dieux benins ont exaucé mes cris !
La beauté qui me blesse, et qui tient mes espris
En langueur continuë,
Languit dedans un lict d’un mal plein de rigueur ;
Son beau teint devient palle, et sa jeune vigueur
Peu à peu diminuë.

Plus grand heur en ce tans ne pouvoit m’advenir ;
Une heure en son logis on ne l’eust sçeu tenir,
Elle eust fait cent voyages,
Aux festins, aux pardons d’un et d’autre costé,
Et chacun de ses pas au cœur m’eust enfanté
Mille jalouses rages.

Pour le moins tant de jours qu’au lict elle sera
Nonchalante de soy, ma frayeur cessera ;
Car ceux qui me font crainte,
D’approcher de son lit n’auront pas le pouvoir,
Et peut-estre le tans qu’ils seront sans la voir
Rendra leur flamme esteinte.

Mais, las ! une autre peur va mon cœur desolant !
Je voy qu’elle affoiblit, et son mal violant
D’heure en heure prend ame :
La force luy defaut à si grande douleur,
Les roses de son teint n’ont pas tant de couleur,
Ny ses yeux tant de flame.