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LIV


Ces pleurs tirez du cœur je t’offre en sacrifice,
Pour flechir ton courroux, Parque au cœur indonté.
Las ! pardonne à ma dame, et par ta cruauté
Ne fay point que d’Amour la puissance finisse.

Si tu desires tant d’exercer ton office,
Passe moy de ton dard d’un à l’autre costé
Et de cette deesse espargne la beauté,
Sans appauvrir nostre âge avec tant d’injustice.

Mais, si mon ardant cry ne te peut eschauffer,
Et que, quoy qu’il en soit, tu vueilles trionfer
De sa grace divine et de sa forme estainte,

Sans oster aux mortels leur plus riche ornement,
Helas ! contente-toy de frapper seulement
Celle que dans le cœur je porte si bien painte[1].


POUR UN MAL D’YEUX


Que je vous plains, ô mes beaux adversaires !
Astres divins, roys des cœurs et des yeux.
Venus jalouse et le soleil des cieux
Cachent le jour de vos flammes si claires.

L’aveugle enfant dont ma peine est venuë,
De son bandeau vos rayons tient couvers ;
Mais leur clarté luit et flambe au travers,
Comme un éclair se fait jour par la nuë.

Phœbus, Amour ou Cyprine la belle
De vos beaux yeux n’obscurcit la couleur ;
Non, c’est le ciel, touché de ma douleur,
Qui veut punir leur mauvaistié cruelle.

Car sa faveur ne leur avoit donnée,
Tant de clartez, tant d’amours, tant d’appas,
De traits, d’attraits, pour causer mon trespas,
Brûlant une ame à vos loix destinée.

Repentez-vous, et, changeant de pensée,
Soyez plus douce au cœur qui n’est qu’à vous ;
Tout aussi-tost le ciel vous sera doux,
Chassant le mal dont vous estes pressée.

Ô ciel clément ! si juste est ma priere,

  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    Poi ch’ hai del sangue mio sete si ardente,
    E, perch’ io mora, o morte acerba e ria,
    Sei mossa per ferir la Donna mia
    Con velenoso stral fiero e pungente.