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Sans qu’ainsy je m’élance à ma mort toute ouverte !

La douleur que pour elle en trois ans j’ay soufferte,
L’ennuy sechant mon teint en son plus doux printans,
À l’envy de ma foy mes douleurs augmentans,
La pitié de son ame assez m’ont découverte.

J’ay tant versé de pleurs qu’un marbre en fust cavé,
Dessus un diamant mon mal j’eusse engravé ;
Et je n’avance rien, tousjours elle est cruelle !

Le propre d’un sujet sans le sujet ne faut,
Le feu ne seroit feu s’il cessoit d’estre chaud,
S’elle estoit sans rigueur ce ne seroit plus elle.


LII


Si la vierge Erygone, Andromede et Cythere,
Astres pleins d’amitié, benins et gracieux,
Font le ciel plus aimable et l’embellissent mieux
Que le noir scorpion, l’hydre et le sagittaire :

Pourquoy ne changez-vous ce courage adversaire ?
Pourquoy ne sont plus doux vos propos et vos yeux ?
Pourquoy, vous adorant, m’estes-vous si contraire ?
Pourquoy me rendez-vous malade et furieux ?

Quand vous m’aurez tué pour vous avoir aimée,
Vous serez par les dieux en astre transformée,
Haineux, rouge de sang, d’orgueil et de fureur ;

Et tous ceux qui sçauront ma mort non meritée,
Diront en vous voyant : Ô flambeau plein d’horreur,
Tousjours des vrays amans soit ta flame écartée !


LIII


Enfin, l’Amour cruel à tel point m’a rangé,
Que ma triste dépoüille en cendre est convertie ;
Et votre cruauté ne s’est oncq’ amortie,
Que mon cœur par le feu n’ait esté saccagé.

Au moins pour le loyer de m’avoir outragé,
Faites ainsi que feit la royne de Carie,
Non par amour comme elle, ains pleine de furie :
Beuvez le peu de cendre en quoy je suis changé.

La soif de me tuer s’éteindra dans vostre ame,
Et ma cendre, qui couve une éternelle flame,
Fera que vos glaçons se fondront tout soudain.

Mais ce qui plus rendrait ma douleur consolée,
Seroit de me voir clos dans un tel mausolée.
Fut-il onc monument si beau que vostre sain ?