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XLIX


À peine un doux printans commençoit à pousser
Le poil, au lieu de fleurs, au bas de mon visage,
Quand, ainsi qu’un soleil sans nuë et sans ombrage,
Vostre œil vint sa lumiere à mon ame élancer.

Ses rayons gracieux, luisans sans m’offenser,
Eschaufferent un tans doucement mon courage :
Mais, comme il poursuivit plus avant son voyage,
De mille feux ardens je me senty presser.

Alors vint mon esté, qui, las ! encore dure,
Dont le chaud fit mourir mon espoir en verdure,
Sans que je puisse voir un seul de ses fruits meurs ;

Et croy que de tout point il eust seché mon ame,
N’estoit qu’incessamment je tempere sa flame
Des vens de mes soupirs et des eaux de mes pleurs.


L


Je porte plus au cœur d’amour et de tourmens,
Qu’on ne voit dans le ciel de luisantes images,
D’eaux en mer, d’herbe aux prez, de sablons aux rivages,
Qu’un siecle n’a de jours, qu’un jour n’a de momens.

Ma bouche n’ouvre pas moins de gemissemens,
Je ne cele en l’esprit moins de feux et d’orages,
Mes yeux ne laschent pas moins d’humides nuages,
Et moins mon estomach de brasiers vehemens.

Entre tant de sujets, de vaincus, de rebelles,
Qu’Amour a fait gesner en ses chartres cruelles,
Je suis le plus maudit et le plus languissant.

Il a changé pour moy toute douce nature :
Aux autres d’esperance il donne nourriture,
Et de pur desespoir il me va repaissant[1].


LI


Qu’avançé-je en l’aimant, sinon que je fay perte
De moy, de mes soupirs, de mes pas, de mon tans ?
Helas ! que ne sont donc mes desirs moins constans,

  1. Imité d’un sonnet italien qui débute ainsi :

    Non ha tante, quant’ io pene e tormenti,
    Stelle il ciel, l’aere augelli e pesci l’onde,
    Fere i boschi, erbe i prati e i rami fronde,
    Giorni gli anni, hore i di, l’hore momenti.