Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Las ! fussé-je une roche en quelque mont glacé,
Sans estre à tant de feux si vif et si sensible !


XLVII


Echo, nymphe jadis d’amoureuse nature,
Qui n’est rien maintenant qu’image de la voix,
Et qui dans ce val creux, caché d’un peu de bois,
D’air et de bruit lasché prens vie et nourriture,

Si tost que je me plains du tourment que j’endure,
Pour avoir desiré plus que je ne devois,
Tu m’annonces mes maux, taschant si tu pouvois
Me divertir de suivre une beauté si dure.

Quand en me souvenant du mal que j’ay passé,
Je dis : Mais que seray-je ayant tant pourchassé ?
Chassé, me respons-tu d’un accent lamentable.

Et quand plus curieux du cours de mes malheurs,
Je demande : Hé ! comment finiront ces clameurs ?
Meurs, est lors de ta voix l’oracle irrévocable[1].


XLVIII


La garnison d’ennuis, qu’Amour fait demeurer
En mon cœur pour sa garde, est si grande et si forte,
Qu’il ne faut avoir peur qu’un seul soupir en sorte,
Ne qu’il puisse en ses maux seulement respirer.

Si quelque heureux plaisir se veut avanturer
D’approcher de mon cœur, afin qu’il le conforte,
Il esprouve à son dam qu’il se faut retirer ;
Car s’il veut passer outre, on le tuë à la porte.

Le desespoir sanglant, capitaine inhumain,
Sans jamais se lasser, tient les clefs en la main,
Et ne fait rien entrer que du party contraire.

Tous pensers gracieux il en a sçeu bannir ;
Mes esprits seulement n’oseroient s’y tenir,
S’ils n’estoient affligez et comblez de miseres[2].


  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    Già ninfa, or voce da le membra scossa,
    E da la voce altrui conforme imago,
    Che tra riposte valli, d’aere vago
    Sol vai prendendo nutrimento e possa, etc.

  2. Imité d’un sonnet italien dont voici les premiers vers :

    E si folta la schiera de’ martiri,
    Che in guardia del mio petto ha posti Amore,
    Che è tolto altrui l’entrare e l’uscir fuore,
    Onde si muoion dentro i suoi sospiri.