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CHANSON


Ô beaux ennemis de mon cœur,
Yeux, les boute-feux de nos ames,
Que vous estes pleins de rigueur !
Vous n’aimez que meurtres et flames.

Vos traits, de ma mort glorieux,
Blessoient de bien plus douce sorte,
Quand l’espoir riant à mes yeux,
De mon cœur vous trahit la porte.

Trompé, je me soumis à vous,
Lors privez de toute rudesse.
Mais, las ! pouviez-vous estre doux
Estans les yeux de ma maistresse ?


XLV


Helas ! que veux-je faire ? À quoy suis-je reduit ?
Quel malheureux destin ma fortune dispose ?
Quel bandeau tenebreux rend ma paupiere close ?
Quelle erreur furieuse à la mort me conduit ?

Le pauvre laboureur seme en espoir de fruit ;
Tout discours, tout effet a pour but quelque chose ;
Je suis seul malheureux, qui rien ne me propose
Qu’ennuy, perte, regret du dieu qui me séduit.

Des fortes mains d’Hercul’ veux-je arracher la masse ?
Humilier un tigre ? échauffer de la glace ?
Non, il faut par raison corriger ma fureur,

Et des griffes d’Amour retirer nostre vie :
Si celle que je sers en a si grande envie,
L’aimant sans esperance, aimons-la sans douleur.


XLVI


On lisoit en ses yeux une paix éternelle,
Lors qu’en sortant du ciel sa beauté m’apparut ;
Et mon jeune desir follement y courut,
Comme un gay papillon au feu de la chandelle.

Mes travaux endurez, ma liberté nouvelle,
Mes desseins, mes sermens, rien ne me secourut ;
Soudain tout me trahit, se rendit ou mourut.
Dieux ! comme une rigueur peut-elle estre si belle ?

Depuis je n’ay vescu que comme elle a voulu,
Bandé contre moi-mesme, à ma mort resolu,
N’esprouvant que tempeste en la mer plus paisible,

Au gré des passions contrairement poussé.