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Me recelle, inhumain, l’air de ce beau visage,
Qui pleuvoit en mon cœur tant de feux et de traits ?

Qui m’as si tost changé mon repos et ma paix
En guerre et en discord, mon tans calme en orage ?
Qui de tant de fureurs a comblé mon courage ?
Amour, conte-le moy. Las ! cruel, tu te tais.

Que je vous porte envie, ô bois ! ô monts ! ô plaines !
Hé ! que ne fait le ciel pour adoucir mes paines,
Que je sois parmy vous en oyseau transmué,

En arbre, en fleur, en roc, en fontaine champestre ?
Il ne m’en chaut en quoy, pourveu que je puisse estre
Plus souvent esclairé des yeux qui m’ont tué.


XLIII


De ces yeux rigoureux, où ma mort se peut lire,
Contre ma volonté le ciel me tient absant,
Je diroy pour mon bien, si mon cœur languissant
Trouvoit quelque allegeance au feu qui le martire.

La fin d’un de mes maux est naissance d’un pire.
Mon esperance est foible et mon desir puissant,
Tandis, fieres beautez, qui m’allez meurtrissant,
Soit mon bien ou mon mal, sans fin je vous desire.

Clairs miroirs de mon ame, yeux des miens tant aimés,
Qui, si loin de mon cœur, tousjours le consommez,
Roses que le soleil ne peut rendre seichées,

Filets d’or, chers liens de mes affections,
Et vous, beautez du ciel, graces, perfections,
Helas ! pour tout jamais me serez-vous cachées ?


XLIV


Demain j’espere voir la beauté qui m’affole,
Et cet œil gracieux mon superbe vainqueur :
Voir cette vive glace et m’en brûler le cœur,
Et ravir mes esprits en sa douce parole.

Mais, ah Dieu ! que le tans legerement s’envole,
Alors qu’en la voyant j’adoucy ma langueur !
Et qu’helas ! au contraire, il est plein de longueur.
Quand pour en estre loin je pleure et me desole !

Que dy-je, en estre loin ? je la voy sans cesser,
Et suis tousjours aupres du cœur et du penser :
Car si la nuict cruelle au soir m’en fait distraire,

Mon esprit amoureux ne part point de ses yeux,
Comme le beau soleil ne part jamais des cieux,
Bien qu’il coure en tournant l’un et l’autre hemisphere.