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XLI


Je pars, non point de vous, mais de moy seulement,
Car je laisse mon ame afin qu’elle vous suive ;
Et ne vous estonnez que sans ame je vive,
Amour me fait mouvoir par son feu vehement.

Je ne vous laisse point à ce departement,
Bien que vous presumiez n’estre jamais captive ;
Car je vous porte au cœur si belle et si naïfve,
Que n’avez rien en vous qui n’y soit vivement.

Mais pourtant ma douleur n’est par là divertie,
Car j’emporte de vous cette seule partie,
Qui rafraichit ma perte et l’en fait souvenir.

Puis je crains d’autre part, sachant votre rudesse,
Que vous receviez mal l’ame que je vous laisse,
Et que vous ne vueillez avec vous la tenir[1].


DIALOGUE.


Que sera-ce de vous, privez de la lumiere,
Pauvres yeux, dont le ciel vous contraint separer ?
— Nous ferons de nos pleurs une large riviere,
Et serons tousjours clos si ce n’est pour pleurer.

Vous aurez pour confort la pourtraiture sainte,
Qu’amour en mon esprit viendra representer.
— Au cœur tant seulement servira cette fainte,
Mais rien, sinon le vray, ne nous peut conforter.

Cherchez doncques ailleurs plaisir qui vous contente,
En tant d’objets divers, si plaisans et si beaux.
— Lors que nous l’essayons, nostre douleur s’augmente,
Trouvans au lieu de jour de bien petits flambeaux.

Trompez-vous, et croyez de ces lumieres claires
Que c’est le beau soleil qui vous peut consoler.
— On ne se trompe point en choses si contraires,
Et nous ne voyons rien qui le puisse égaler.


XLII


Quel ciel noircy de pluye, ou quel nuage espais,
Quel desert separé, quel antre assez sauvage,

  1. Imité d’un sonnet italien qui débute ainsi :

    Parto, non già di voi, pero che unita
    Con voi l’alma riman, ma da me stesso ;
    Ne voi rostate, ch’ io non pur da presso
    Vi porto, ma nel cor viva e scolpita.