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Et, s’il m’estoit permis en aimant d’esperer,
Il n’y a rien en moy qui ne fust tout de flame.


STANCES


Alors qu’aupres de vous la fortune m’appelle,
M’ouvrant tous les thresors que recelent les cieux,
Trop foible à contempler une chose si belle,
Je me courrouce à moy de n’avoir que deux yeux.
Mais las ! c’est pour mon mal que j’en veux davantage,
Car je ne voy que trop ma perte et mon dommage.

Mes yeux sont assez clairs pour lire en vos beautez
L’irrevocable loy de ma mort asseurée,
Et pour voir que trop haut mes desirs sont portez,
Ayans l’aile tardive et foible, et mal cirée,
Pour voir qu’à vos soleils leurs cerceaux se desfont,
Et que tout mon espoir comme neige se font.

Ô miserable vuë à pleurer condamnée !
Tu le vois, maintenant qu’il n’en est plus saison,
Et tu ne le veis pas à l’heure infortunée
Que par un doux regard tu vendis ma raison :
Mais surprise et ravie, et d’amour affollée,
T’égayois en l’objet qui mon ame a brûlée !

Fay donc de ton erreur maintenant penitence,
Pleurant les passions qu’au cœur tu fais sentir.
Mais qui pourroit pleurer une si belle offance ?
C’est pecher doublement que de s’en repentir ;
Non, ne le faisons pas, mais monstrons au contraire
Que ce malheur forcé nous est choix volontaire.


XL


Ô miserables yeux, aussi fous que dolans !
Qui vous fait aujourd’hui lâcher tant de fontaines ?
Sentez-vous plus qu’hier de douleurs et de paines,
Perdant de vostre jour les rais estincelans ?

Ce que d’un mal nouveau les accez violans
Vous cachent une fois, ses rigueurs inhumaines,
Ses courroux, ses fiertez de froideur toutes plaines,
Mille fois sans raison vous le furent celans.

Et puis, quand vous seriez cent mille ans aupres d’elle,
Devez-vous esperer qu’elle en soit moins cruelle,
Et qu’ayez à la fin favorables les cieux ?

Non, non, ne pleurez point deux ou trois jours d’absance ;
Pleurez le premier jour que vous veistes ses yeux,
Qui de tous vos malheurs fut la seule naissance.