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chaîne les cœurs. Sur l’édition de 1611, publiée par son frère, on voit son buste, que couronnent Apollon et Vénus. Il a l’œil brillant, le front vaste et régulier : tout le visage respire l’attention et le jugement. Mais le nez est volumineux, enflé par le bout comme une massue ; une large bouche confine à de lourdes mâchoires ; le cou peu développé met la tête trop près des épaules. Le voluptueux rimeur porte un grand collet de toile rabattu, un pourpoint serré, avec de nombreux boutons, et une pelisse garnie de fourrure, que termine par le haut une sorte de palatine[1].

Cependant Charles IX jugeait que le roi de Pologne différait trop longtemps son départ. Le monarque malgré lui dut se résoudre à quitter la France et la princesse de Condé. Il chargea Desportes de mettre en vers ses adieux à l’une et à l’autre[2]. Le 28 septembre 1573, il commença enfin son voyage, emmenant avec lui le poëte. Des proscrits n’abandonnent pas plus péniblement le sol natal. Cet exil émut d’ailleurs toute la littérature : les écrivains perdaient un protecteur puissant, affable, qui aimait à rendre service. Ce fut un concours de lamentations. Germain Vaillant de la Guesle, Jean Daurat, Antoine Baïf, déplorèrent en latin son absence, dont on ne prévoyait pas la courte durée.

La vue de la Pologne et les mœurs des Polonais ne diminuèrent point l’affliction des voyageurs. Ces grandes plaines désertes, blanchies par la neige et tourmentées par les vents, ces cabanes enfumées où des rustres vivaient pêle-mêle avec les bestiaux, la turbulence perpétuelle des hautes classes, la grossièreté des manières, une ivrognerie prodigieuse, des fanfaronnades interminables, un babil que rien ne lassait, leur causèrent un pénible étonnement. La corruption d’un peuple à demi barbare choquait leur dépravation raffinée. Ils tournaient sans cesse les yeux vers la cour de France. Pour ne pas s’occuper des affaires de son royaume, le prince feignait d’être malade[3]. Il écrivait à Marie de Clèves des lettres passionnées « avec le sang qu’il tiroit de son doigt, » nous apprend l’historien Mathieu. Mais ces violents témoignages d’amour ne lui suffisant point encore, il faisait rimer par Desportes une complainte sur les abattements, les tristesses, les désespoirs qu’il éprouvait loin

  1. Voyez, au commencement de l’édition actuelle, le frontispice de 1611, reproduit avec la dernière exactitude par MM. David et Varin.
  2. Voyez p. 408, la Complainte pour monseigneur le duc d’Anjou, éleu roy de Pologne, lorsqu’il partit de France.
  3. Henri Martin, Histoire de France, t. IX.