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XXXV


Quand je vous voy si belle, ô ma douce adversaire !
Je dy, d’estonnement et d’amour transporté,
Si ma flamme doit croistre égale à sa beauté,
Que sera-ce de moi ? que faut-il que j’espere ?

Celle qui fut promise au Troyen pour salaire,
Cause du long debat si souvent rechanté,
Qui tint les Grecs dix ans autour d’une cité,
N’avoit tant d’hameçons pour les hommes attraire.

Quand en la mer Pontique, errant en maints destours
Le Danube orgueilleux vient descharger son cours,
Il rend long tans apres douce l’humeur salée.

Vos beautez tout de mesme, entrans dedans mon cœur,
Destrempent doucement son amere langueur,
Et parmy mes ennuis la liesse est meslée.


XXXVI


Pource que je vous aime à l’égal de mon ame,
Je vous voy contre moy la haine entretenir.
Or, si l’inimitié mon amour fait finir,
Changeant de naturel, m’aimerez-vous, madame ?

Mais en vain pour mon bien tel secours je reclame,
Car vous pourriez plustost amante devenir,
Que pour quelque accident qui me sçeust advenir,
Je sentisse en l’esprit moins d’amoureuse flame.

Le roc de vostre cœur, de glaçons remparé,
Plustost s’éclatera d’un feu demesuré,
Que l’ardeur qui m’allume en rien soit consumée.

Et puis j’ayme trop mieux vous aimer sans espoir
Que, ne vous aimant point, à mon gré vous avoir,
Car l’amant est tousjours plus divin que l’aimée[1].


XXXVII


Le rayon d’un bel œil flamboyant et leger,
Passant comme un éclair, ma poitrine a perçée
Et par sa vive flamme, en mon cœur élançée,

  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    V’ amo, Donna ; e di me sol perch’ io v’ amo,
    Non per altra cagion, nemica siete :
    Deh ! se per sol amarvi odio m’ havete,
    Gradiretemi poi s’ io vi disamo ?