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Soit que mon mal s’oublie alors que je la voy,
Soit que tant de beautez ne la monstrent cruelle,
Plus elle est inhumaine et plus je suis fidelle.

Le feu de ses beaux yeux par les ans s’esteindra ;
Peut-estre apres ma mort douce elle deviendra ;
Mais plustost l’air du nord fera chaude la glace,
Le feu sera pesant, la terre aura sa place ;
Plustost les corps meslez seront sans changement,
Plustost le premier ciel perdra son mouvement,
Plustost se confondra la suite universelle
Que ma foy se corrompe ou j’adore autre qu’elle.


XXXIV


Pour alleger mon esprit languissant.
Qu’Amour tenaille à secrettes attaintes,
De quoy faut-il que je face mes plaintes,
Quand de hauts cris je vay l’air remplissant ?

De moy ? Nenny ; car j’estois impuissant
Pour resister à deux deïtez saintes,
Qui par la force et par leurs douces faintes
Eussent rendu tout brave obeïssant.

De mes yeux ? Non ; par eux je voy ma dame.
Et d’elle ? Moins ; elle fait qu’en mon ame
Tous bas desirs par son feu sont estains.

Amour aussi n’eust sçeu mieux me contraindre.
Que veux-je donc ? Bien, fors que je me plains
Que je ne sçay de quoy je me dois plaindre.


CHANSON


Amour, oyant tant renommer
La Venus qui me fait aimer,
Entreprist vers elle un voyage ;
Tant il est desireux du beau !
Et se fit oster son bandeau
Pour mieux voir si parfait ouvrage.

Alors ravy de tant d’attraits,
Et navré de ses propres traits :
« Sus, sus, dit-il, qu’on me rebande ;
Aussi bien, revolant aux cieux,
Il ne faut pas que je m’attande
De voir rien d’égal à ses yeux. »