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XXX


Quand l’ardante jeunesse, aux delices poussée,
Cede à l’âge plus meur, moins amy du plaisir,
Tout ainsi que le teint se change le desir,
Et la raison commence à guider la pensée,

Des aiguillons d’honneur l’ame se sent pressée,
Qui luy font tout à l’heure autre chemin choisir,
Et celuy que l’Amour avoit sçeu mieux saisir,
Se ri plus hautement de sa flamme passée.

Chacun lors, par le tans rendu plus advisé,
Voyant l’âge qui glisse à la nuict disposé,
Songe à faire retraite ains que le jour luy faille.

Mais moy qui dois brûler aimant jusqu’à la mort,
Plus je touche à la nuict, plus j’éloigne le port,
Et moins j’ay de vigueur, plus Amour me travaille.


XXXI


Ce bras qui m’a tiré tant de traits amoureux,
Par qui ma jeune audace en triomphe est menée ;
Ce bras toujours vainqueur, ô fiere destinée !
Est ouvert par le fer d’un barbier rigoureux.

Mais quoi ! je vay plaignant un coup peu dangereux,
Et voyant vostre sang mon ame est estonnée,
Bien que par vos rigueurs la mort me soit donnée,
Et que n’ayez soucy de me voir malheureux.

Je n’aime rien si fort que ce qui plus m’outrage ;
Mais las ! que le barbier n’en tire d’avantage,
Si grande cruauté je ne sçauroy plus voir.

Doy-je esperer qu’un jour la pitié vous surmonte,
Et qu’avecques mes pleurs je vous puisse esmouvoir,
Vous qui de vostre sang faites si peu de conte ?


XXXII


Simulacres divins, flammes saintes et claires,
Qui luisez dans le ciel de son front spacieux,
Et, comme le soleil, par vos traits radieux
Dissipez la vertu des splendeurs ordinaires,

S’il est vray que tousjours les deux grands luminaires,
Les flambeaux arrestez, ceux qui changent de lieux,
D’une égale clarté luisent dedans leurs cieux,
D’où vient que vos rayons soyent souvent si contraires ?

Amour, pere du tout, une fois seulement