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XXII


Cet habit trop heureux, qui sert de couverture
Aux thresors qu’à bon droit sur tout je vay prisant,
Bien que vous le portiez presque en vous desplaisant,
Croyez-moy, s’il vous plaist, n’est de noire teinture.

Car, ainsi que la nuë ou l’ombrage ne dure
Aux lieux où le soleil ses rais va conduisant,
De mesme, en quelque lieu que vostre œil soit luisant,
Le noir s’évanouyt ou change de figure.

Qui voit, comme je fay, vos regards enflammans,
Juge que vostre habit est plein de diamans,
Et que toute blancheur aupres n’est qu’un ombrage.

Donc, pour porter le dueil sans changer de couleur
Et pour tenir la terre et le ciel en douleur,
Il faut cacher vos yeux et vostre beau visage.


XXIII


Ceux que trop d’avarice, ou trop peu de sagesse,
Dans un foible vaisseau fait sur mer voyager,
Et qui cherchent la mort au rivage estranger,
Poinds d’un sale desir qui n’a jamais de cesse,

Si le juste courroux de Neptune les presse,
Et qu’ils perdent l’espoir par l’effroy du danger,
Chacun à qui mieux mieux pour la nef décharger,
Jette au milieu des eaux sa plus chere richesse.

Moy qui d’un beau desir me sentoy enflammer,
Je m’embarquay joyeux sur l’amoureuse mer,
Qui de flots et de vents aussi tost fut couverte ;

Pour décharger ma nef, j’ay franchement jetté
Tout ce qui m’estoit cher, l’ame et la liberté,
Et n’ay point de regret d’avoir fait cette perte.


XXIV


Voyant le beau soleil si clair et radieux,
Qui couvre et qui destruit toute grande lumiere,
Ainsi qu’en l’Ocean se perd toute riviere,
Je ne me puis tenir de le dire envieux.

Car tant de feux divins semez parmy les cieux,
Voire sa propre sœur des astres la premiere,
Perdent, s’il est present, leur splendeur coustumiere,
Et de leur deshonneur il se rend glorieux.

Le soleil de nos ans, qui fait fleurir ma vie,