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STANCES


Sont-ce dards ou regards que les traits élancez
De ces deux beaux soleils, rois des ames plus fieres ?
Hà ! ce sont des regards, clairs d’ardantes lumieres ;
Non, ce sont dards cruels, dont les cœurs sont percez.

Sont-ce charmes ou chants que les sons gracieux,
Dont sa vermeille bouche est si bien animée ?
Ce sont chants qui l’esprit peuvent ravir aux cieux,
Ce sont enchantements dont j’ay l’ame charmée.

Puis qu’il se falloit perdre, et qu’il est destiné
Que vaincu je perisse en l’amoureuse guerre,
Ce m’est grand reconfort qu’un si beau trait m’enferre,
Et qu’en si blonds cheveux je sois emprisonné.

Toutes les autres fois qu’Amour m’avoit donté,
Je pleuroy ma fortune et l’estat de ma vie ;
Mais j’aime ores mes fers et fuy la liberté,
Et chastiroy mon cœur s’il en avoit envie.

D’un regret seulement mes esprits sont troublez,
D’estre trop bas objet pour si haute lumiere.
Mais, ô rare beauté des beautez la premiere !
Prenez garde au soleil à qui vous ressemblez.

Ce bel astre du ciel, cet unique flambeau ;
En tous lieux ses rayons sans difference darde ;
Et son œil, qui si clair cede au vostre plus beau,
Comme les hauts sapins le bas soucy regarde.

Ne ne me dédaignez donc, et souffrez qu’en mourant
Un doux trait de vostre œil donne espoir à mon ame ;
Permettez que mon cœur bassement vous reclame,
Et qu’il se rende heureux, vos beautez adorant.

Mais c’est peu que d’un cœur pour offrir à vos yeux,
Rois de tous les esprits de ceux qui s’en approchent ;
J’en voudroy mille et mille, afin de pouvoir mieux
Recevoir tous les traits que si droit ils décochent.

Autre faveur du ciel je ne veux desirer
Qu’estre seul consommé d’une flamme si claire.
Aussi bien toute autre ame est pour vous trop vulgaire,
Seul d’un si beau tourment je merite endurer.

Car je sçay comme on souffre et n’y suis point nouveau,
Accoustumé d’enfance aux plus cruels allarmes ;
Venus au lieu de laict, quand j’estois au berceau,
Me fit sucer des feux, des soupirs et des larmes.

Un seul cry ne m’eschappe aux plus fortes langueurs,
Et pour en voir la preuve, ô ma belle adversaire !
Essayez contre moy ce que vous pouvez faire,