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Jour qu’il te pleut mes yeux et mon cœur retenir,
Et de leur servitude embellir ta victoire,

Tu rompis tant de nœuds qui m’avoient sçeu lier,
Et me faisant deslors toute chose oublier,
Tu fus mon seul penser, mon ame et ma memoire.


XVI


Le sculpteur excellent desseignant pour ouvrage
Une plante, un lion, un homme, un élement,
Si la main obeyt et suit l’entendement,
Trouve en un marbre seul toute sorte d’image.

Ainsi rare beauté, sujet de mon courage,
Se trouve en vous le bien et le mal d’un amant,
Mais, faute de sçavoir, d’art et de jugemant,
Voulant choisir le bien, je me prens au dommage.

Ce n’est donc le destin par qui tout est forçé,
Ce ne sont vos rigueurs, ny le sort courrouçé,
Que l’on doit accuser de ma perte inhumaine.

La faute est toute à moy : car dedans vostre cœur
Est ma vie et ma mort, mon repos et ma paine,
Mais je n’en puis tirer que mort, peine et rigueur.


XVII


Durant que je vous chante, ô ma flamme secrette !
Et descry ces beaux nœuds qui m’ont sçeu retenir,
M’obligeant à bon droit les siecles à venir,
Qui verront en mes vers vostre beauté pourtraite.

Le ciel qui sans pareille entre-nous vous a faite,
Vous fait de jour en jour plus belle devenir,
Si bien que pour menteur chacun me peut tenir,
Quand plus que je ne monstre on vous trouve parfaite.

Afin donc que je puisse un tel blasme éviter,
Lors que j’entreprendray vos loüanges chanter,
Je diray desormais : Tel jour elle estoit telle.

Mais depuis sa beauté d’heure en heure augmenta,
La feit plus que deesse, et si haut l’emporta,
Que, pour voler apres, trop basse fut mon aile[1].


  1. Traduction d’un sonnet italien qui commence par ces vers :

    Mentr’ io scrivo di voi, dolce mia morte,
    Per obligarmi la futura etate
    Con dar dipinta a lei quella beltate,
    Che ’l ciel diè viva al secol nostra in sorte.