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XIII


Les celestes beautez d’une heureuse jeunesse,
Un orgueil plein d’attraits, une honneste rigueur,
En silence un parler qui découvre le cœur,
Un modeste dédain, le port d’une deesse ;

Dessous des cheveux blonds une meure sagesse,
Un œil comblant l’esprit d’amoureuse langueur,
Qui de tout ce qu’il voit est monarque et vainqueur,
Qui gele et fait brûler, qui guarist et qui blesse ;

Un esprit tout divin, le ciel mesme estonnant,
Un propos qui les cœurs à son gré va tournant,
Neige, ébene, coral, lis et roses vermeilles,

Et mille autres thresors de nature et des cieux,
De l’œil et de l’esprit la gloire et les merveilles,
Sont de ma liberté les tyrans gracieux.


XIV


Pourquoy ne l’aimeroy-je ? elle est toute parfaite,
C’est un portrait vivant des beautez de Cypris ;
Il n’auroit point de cœur qui n’en seroit épris,
Et qui ne beniroit le jour de sa desfaite.

Bien que pour un mortel le ciel ne l’ait pas faite,
Et que j’advouë assez d’avoir trop entrepris,
Je me plais en ma faute, et plus je me sens pris,
Et plus je tiens ma vie heureusement sujette.

Mon Dieu ! qu’elle est divine et que je suis heureux
D’en avoir connoissance, et de n’estre amoureux
De rien tant que des yeux dont j’ay l’ame blessée !

Moins j’y connoy d’espoir, mieux je la vay servant ;
Ce qui deust me geler rend mon feu plus vivant,
Et le mal qui me tuë est vie à ma pensée.


XV


Un yvoire vivant, une neige animée,
Fait que mon œil ravy ne s’en peut retirer.
Ô main victorieuse, apprise à bien tirer,
Que tu m’as de beaux traits la poitrine entamée !

Aux celestes beautez mon ame accoustumée
Ne trouve objet que toy qui la puisse attirer,
Et croit qu’elle te peut sans offense adorer,
Tant elle est de ta glace à toute heure enflamée.

Le jour dont si souvent j’aime à me souvenir,