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Afin de mourir libre, est cruel à sa vie.

L’espouse de Syphax, du malheur poursuivie,
Fuit en s’empoisonnant le triomphe appresté,
Et, d’un coeur aussi beau comme estoit sa beauté,
Mourut l’Égyptienne, apres estre asservie.

Que pensé-je donc faire, ô chetif que je suis !
Chargé de mille fers, mais plus chargé d’ennuis,
Qui sens mon ame libre esclave estre renduë ?

Il faut, il faut mourir, je suis trop attendant ;
Si ce n’est en Caton ma liberté gardant,
Soit comme Cleopatre apres l’avoir perduë.


XI


Si trop en vous servant, ô ma mort bien-aimée !
L’ardant feu de mon cœur éclaire et se fait voir ;
Si l’on dit qu’à son gré vostre œil me fait mouvoir,
Et que de vous sans plus ma vie est animée ;

Une si pure ardeur, qui n’a point de fumée,
Devant tous peut reluire et monstrer son pouvoir.
Tant de vers, qui si loin mes douleurs font sçavoir,
Sont des arcs que je dresse à vostre renommée.

Jadis entre les Grecs, quand l’honneur y vivoit,
Le vainqueur des vaincus maint trophée élevoit,
Fait d’étoffe legere et de peu de durée.

Mais moy que ma deffaite a rendu glorieux,
Bien que je sois vaincu, j’éleve en divers lieux
Maint trophée immortel pour vous rendre honorée.


XII


Ô journée inconstante, heureuse et malheureuse,
Extrême en tous les deux ! Inconstant comme toy,
Je ne sçay si maudire ou loüer je te doy,
Tant tu m’es à la fois et douce et rigoureuse !

Fut-il onc aux enfers ame si douloureuse ?
Les cieux ont-ils un dieu si fortuné que moy ?
Mille extrêmes faveurs ont bien-heuré ma foy,
Mille extrêmes rigueurs la rendent langoureuse.

Ne puissé-je jamais de toy me souvenir !
Mais puissé-je tousjours ce penser retenir,
Qui durant mon exil si doucement me touche.

Que d’estranges chaos en moy se remesloient !
Son propos me chassoit, ses yeux me r’appelloient :
Dieu que j’ayme ses yeux et que je hay sa bouche !