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En vous vostre desir commence et va mourant,
Et l’amour seulement par vous mesme vous blesse.

Franche et libre de soing, vostre belle jeunesse,
D’un œil cruel et beau mainte flamme tirant,
Brûle cent mille esprits qui, vostre aide implorant,
N’esprouvent que fierté, mespris, haine et rudesse.

De n’aimer que vous mesme est en vostre pouvoir ;
Mais il n’est pas en vous de m’empescher d’avoir
Vostre image en l’esprit, l’aimer d’amour extrême.

Or l’Amour me rend vostre, et si vous ne m’aimez,
Puisque je suis à vous, à tort vous presumez,
Orgueilleuse beauté, de vous aimer vous mesme.


VI


Qui voit vos yeux divins, si pronts à décocher,
Et ne perd aussi tost le cœur, l’ame et l’audace,
N’est pas homme vivant, c’est un morceau de glace,
Une souche insensible, ou quelque vieux rocher.

Qui ne voit point vos yeux doit les siens arracher,
Et maudire le ciel qui ce mal luy pourchasse ;
Je ne voudroy point d’yeux, privé de tant de grace,
Car tous autres objets ne font que me fascher.

On doute de ces deux la meilleure avanture,
De cil qui pour les voir à la mort s’avanture,
Ou qui, ne les voyant, évite son trespas.

Perdre la vie est tout, c’est le dernier naufrage.
Telle perte pourtant ne m’en priveroit pas,
Car, qui ne les voit point, perd beaucoup davantage[1].


VII


Plus j’ay de connoissance, et plus je determine
De n’aimer rien que vous, seule digne de moy,
Digne de m’enlacer d’une éternelle foy,
Et que tous mes desirs ayent de vous origine.

Belle race du ciel, ame claire et divine,
Seule toute mon tout, ma creance et ma loy,
Je respire par vous, sans vous rien je ne voy,
Et, si j’ay bien ou mal, vostre œil me le destine.

  1. Traduction d’un sonnet italien qui débute par ces vers :

    Chi vede gli occhi vostri, e di vaghezza
    Non resta vinto al primo encontro, e privo
    De l’alma, puo ben dir che non è vivo,
    Ne sà che cosa sia grazia e bellezza.