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Se plaindre en trébuchant de son vol temeraire,
Que mon sage conseil n’avait sçeu retarder.

Apres ton precipice, ô désir miserable !
Je t’ay fait dedans l’onde une tombe honorable
De ces pleurs que mes yeux font couler jour et nuit.

Et l’esperance aussi, ta seur foible et dolante,
Apres maints longs destours, se voit changée en plante,
Qui reverdit assez, mais n’a jamais de fruit.


III


Parmy ses blonds cheveux erroient les amourettes,
S’entrelaçans l’un l’autre, et ses yeux, mes vainqueurs,
Faisoient par leurs rayons un juillet dans les cœurs,
Et sur terre un avril tapissé de fleurettes.

Sur les lis de son sein voletoient les avettes,
Contre les regardans décochans leurs rigueurs.
Dieux ! que d’heureux tourmens ! que d’aimables langueurs !
Que d’hameçons cachez ! que de flammes secrettes !

Si tost que m’apparut ce chef-d’œuvre des cieux,
En crainte et tout devôt je refermay les yeux,
N’osant les hazarder à si hautes merveilles.

Mais je n’avançay rien, car ses divins propos
Me voleront d’un coup l’esprit et le repos,
Et l’amour en mon cœur entra par mes oreilles.


IV


D’une douleur poignante ayant l’ame blessée,
Je ne puis en mon lict d’allegeance esprouver ;
Je me tourne et retourne, et ne sçauroy trouver
De place qui ne soit de chardons herissée.

Ne verray-je jamais que la nuict soit passée ?
Je suis au mois de juin, et pense estre en hyver.
Leve-toy, belle Aurore, et fais aussi lever,
Non le soleil du ciel, mais cil de ma pensée.

Ah ! que dy-je, une nuict ? tout un siecle est passé,
Depuis que son bel œil sans clarté m’a laissé ;
Non qu’on ne parle plus de saisons ny d’années.

Je laisse au philosophe et aux gens de loisir,
À mesurer le tans par mois et par journées,
Je conte, quand à moy, le tans par le desir.


V


Vous n’aimez rien que vous, de vous-mesme maistresse,
Toute perfection en vous seule admirant,