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Pendant que le duc d’Anjou cherchait à négocier le mariage de la Châteauneuf, il portait au cou, devant tout le monde, le portrait de la princesse de Condé ; le roi d’ailleurs ne se gênait point pour annoncer publiquement qu’il ferait tuer le mari. Ce dernier, loin de fuir la mort, semblait plutot la chercher : au siége de la Rochelle, il avait montré un courage téméraire, qui annonçait le désir de trouver le repos à six pieds sous le gazon[1].

Durant le séjour momentané du nouveau roi de Pologne dans la capitale, Philippe mit sous presse le recueil de ses vers, pour lequel le duc lui avait fait un si riche cadeau. Le privilége est du 28 juillet. Cette première édition, publiée en format in-4o, éclipse par son luxe toutes celles qui virent le jour plus tard. La beauté du papier, le soin de l’exécution, la rendent précieuse : la bibliothèque de l’Arsenal en possède un exemplaire magnifique. L’aspect du livre confirme donc le rapport de Claude Garnier. Cette édition princeps a encore cela de curieux qu’elle renferme les œuvres capitales de Desportes, sauf un très-petit nombre de morceaux ; il y manque les Amours de Cléonice, le deuxième livre des Elégies, quelques pièces détachées ; mais on y trouve ses meilleurs sonnets, ses plus belles chansons, ses peintures de la campagne les mieux touchées, son éloquente diatribe contre le mariage. À vingt-sept ans, Desportes avait donc franchi presque toute sa carrière poétique.

Du Radier a fait de grands efforts pour découvrir quelles étaient les maîtresses chantées par Desportes sous des noms fictifs. La première était indubitablement Diane de Cossé-Brissac, femme du prince de Mansfeld. Dans cette cour dissolue, on ne tenait plus compte des rangs, comme le prouvent si bien les Dames galantes de Brantôme, peintre joyeux de désordres inouïs. Desportes d’ailleurs était un homme influent ; le bruit courut même qu’il avait pour amie intime la sœur de Henri III, la femme du roi de Navarre, cette Marguerite que nous avons vue figurer dans une scène très-leste. Pour le rapprocher de la caste nobiliaire, on affectait d’écrire son nom en deux mots. Une liaison avec Diane ne laissait pas d’avoir ses périls. Les Mansfeld étaient des hommes violents et implacables. L’un d’eux, bâtard de leur maison, avait joué un rôle sinistre pendant la guerre de Trente Ans, et saccagé le nord de la France. Le mari de Diane ne montra pas un caractère plus facile : ayant surpris sa femme avec un autre amant, le comte de Maure, qui avait supplanté

  1. L’Estoile, même volume, p. 62 et 63.