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Qui cache au dedans son martire,
Que la peur d’aimer ne retire,
Et trouve au mal contentement,
Tel serviteur se peut élire
Sans avoir peur du changement.


CHANSON


Si tost que vostre œil m’eut blessé,
Tant de feu s’esprist en mon ame,
Que je n’eusse jamais pensé
Pouvoir ardre en plus chaude flame.

Mais croissans en vous chacun jour
Les graces qui vous font si belle,
J’ay veu croistre aussi mon amour
Tousjours de quelque ardeur nouvelle.

Elle est or’ à l’extremité,
Plus grande on ne la sçauroit rendre ;
Ne croissez donc plus en beauté,
Ou vous me mettrez tout en cendre.


STANCES


Si l’angoisse derniere en rigueur est semblable
Au mal de mon esprit, le mortel miserable
Despistant les hauts cieux, a fort juste raison,
Les cieux qui, trop cruels, pour mourir l’ont fait naistre !
Mais, las ! un si grand mal que le mien ne peut estre ;
La mort et ma douleur sont sans comparaison.

En la mort seulement se corrompt la matiere
Qui tient des elemens ; l’ame demeure entiere,
Franche et libre du corps, et s’en revolle aux cieux.
En cette mort d’amour, inhumaine et cruelle,
Mon esprit se divise, et sa part immortelle,
Que plus chere je tiens, s’en va quand et vos yeux.

Amour, qui de tes mains en as fait le partage,
Tu me fais trop connoistre à mon desavantage,
Qu’on ne doit un enfant pour arbitre choisir ;
L’intellect, la raison, tu les laisse à ma dame
Et à moy seulement ceste part de nostre ame,
Où sont les passions, la crainte et le desir.

Las ! j’en porte en mon cœur en si grande abondance,
Qu’en pleurant je m’estonne, accablé de souffrance,
Comment, pour y durer, mes esprits sont si forts ?
On dit qu’on peut mourir d’une douleur trop forte ;