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Un seul trait de contentement ;
Aveugle au bien je me puis dire,
Et au mal trop plein de clarté,
Ne pouvant rien voir que martire
Au miroir de vostre beauté.

Puis qu’on guarist par son contraire,
Tout l’espoir que je puis avoir
Est de sortir de ma misère,
Lors que je cesseray de voir ;
À la mort donc je me retire,
Pour rendre mon mal limité,
Lors, si ne voyez mon martire,
Je ne verray vostre beauté.


CHANSON


Le mal qui me rend miserable,
Et qui me conduit au trespas,
Est si grand, qu’il est incroyable ;
Aussi vous ne le croyez pas.

Amour, qui des yeux prend naissance,
Court aussi tost vers le desir,
Se conserve avec l’esperance,
Et trouve repos au plaisir.
Mon amour est d’une autre sorte :
Le desespoir la rend plus forte,
Elle renaist de son trespas ;
Perdant, elle acquiert la victoire.
C’est une chose forte à croire,
Aussi, vous ne le croyez pas.

Tout ce que l’univers enserre
Tend au bien, le cherche et le suit,
Le feu, l’air, les eaux et la terre,
Et tout ce qui d’eux est produit ;
Moy seul, de moy-mesme adversaire,
Je cours à ce qui m’est contraire,
Et ne fuy rien tant que mon bien ;
Je rens ma douleur incurable ;
Mais, pour ce qu’il n’est pas croyable,
Madame, vous n’en croyez rien.

Si j’aimois à l’accoustumée,
Je croy qu’il seroit bien aisé
De juger mon ame enflamée
Par quelque soupir embrasé.
Si tost qu’une autre amour commence,
Elle apparoist, chacun le pense,