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Pensant que c’est vostre vouloir.
Car, puis que ma mort vous est chere ;
Je n’ay garde de me douloir
D’une chose qui vous peut plaire.


CHANSON


Sçavez-vous ce que je desire
Pour loyer de ma fermeté ?
Que vous puissiez voir mon martire,
Comme je voy vostre beauté.

Le ciel, ornant vostre jeunesse
De ses dons les plus precieux,
Pour mieux me monstrer sa richesse,
M’éclaira l’esprit et les yeux ;
Tousjours depuis je vous admire
D’un œil tout en vous arresté.
Mais vous ne voyez mon martire,
Comme je voy vostre beauté.

Maudite soit la connoissance,
Qui m’a cousté si cherement ;
Ma douleur n’a eu sa naissance
Que d’avoir veu trop clairement ;
Las ! j’ay bien raison de maudire
Ce qui perdit ma liberté,
Puis que ne voyez mon martire
Comme je voy vostre beauté.

L’aveugle enfant qui me commande,
Qu’on nomme à tort Dieu d’amitié,
Les deux yeux comme à luy vous bande,
Afin que soyez sans pitié.
Il le faut : car j’ose bien dire
Que n’auriez tant de cruauté,
Si vous pouviez voir mon martire
Comme je voy vostre beauté.

Si le ciel de vostre visage
Luit de mille perfections,
Il n’en peut avoir davantage
Que mon cœur a de passions ;
Il pleure, il gemist, il soûpire,
D’Amour nuict et jour tourmenté ;
Helas ! voyez donc mon martire,
Comme je voy vostre beauté.

Je me plains d’avoir trop de veuë,
Moy, qui ne puis voir seulement,
Parmy tant d’ennuy qui me tuë,