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LXXXVIII


Je veux jurer ces vers, qui rendront tesmoignage
Ou de mon inconstance, ou de ma ferme foy,
En presence d’Amour mon grand maistre et mon roy
Qui peut lire en mon cœur, si traistre est mon langage :

C’est qu’à vostre beauté sans plus je fais hommage,
Je n’aime rien que vous, en vous seule je croy ;
Vostre œil m’assujettist et me donne la loy,
C’est mon heur et mon gain, ma perte et mon dommage,

Si j’ay jusques icy vollagement erré,
De mille traits divers à toute heure enferré,
Ce sont des tours communs de l’aveugle jeunesse ;

Maintenant que six ans quatre fois j’ay dressez
Devers vous seulement mes pensera sont passez
Et mon ame en ses maux n’implore autre deesse.


TOMBEAU D’AMOUR


Cy gist l’aveugle Amour, sa puissance est étainte,
Celle qui m’a tué l’a fait mourir aussi ;
Son arc vainqueur des dieux et ses traits sont icy,
Mais ce n’est rien que cendre, ils ne l’ont plus de crainte.

En fin le pauvre enfant s’est laissé deçevoir,
Apres avoir cent fois tasché brûler ma dame ;
Car, ne l’ayant peu faire, il pensa que sa flame,
Jadis tant crainte au ciel, n’avoit plus de pouvoir.

Douteux pour l’essayer, il la porte à ses ailes,
Le feu leger s’y met, dont il est tout espris ;
Il pleure, il voit sa faute, il remplit l’air de cris,
Mais c’est donner vigueur à ses flammes cruelles.

Amans, pardonnez-moy, disoit-il en mourant,
Je n’eusse jamais creu ma flamme estre si forte ;
Au moins que mon trespas vos ennuis reconforte,
Je meurs du mesme feu qui vous va devorant.


CHANSON


Tant que j’ay eu du sang, des soupirs et des larmes,
J’ay payé le tribut à vostre cruauté,
Esperant follement par ma fidelité
De vos cruelles mains faire tomber les armes.

Je n’ay plus cet espoir, mais j’ay bien connoissance
Que pour plus m’affoiblir vous m’alliez outrageant,
Ainsi qu’un fier tyran ses sujets va chargeant,