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Mon ame en vos cheveux est si bien detenuë,
Mes sens de trop d’amour sont si fort insensez,
Et vers vous mes desirs tellement sont dressez,
Qu’aucune autre beauté n’est de moy reconnuë.

Et si le ciel jaloux me force à vous laisser,
Quelque mont, fleuve ou bois que je puisse passer,
Bien qu’aux deserts glacez pour jamais je m’habite,

Tousjours malgré le tans, la distance et les lieux,
Vostre beauté divine, ô celeste Hippolyte !
Sera pres de mon cœur, s’elle est loin de mes yeux.


LXXXVI


Je vey contant les jours et les heures passées,
Depuis que de mon bien je me suis separé,
Et qu’avec un grand roy, des mortels adoré,
J’ay choisi pour sejour ces campagnes glacées.

Amour, qui vois sans yeux mes secrettes pensées,
Si je t’ay jusqu’icy saintement reveré,
Chasse, ô Dieu ! le regret dont je suis devoré,
Et tant de passions dans mon ame amassées.

Fay qu’avec moins d’ardeur je desire à la voir,
Ou que de mon grand roy congé je puisse avoir,
Ou m’apprens à voller et me preste tes ailes,

Ou ne fay plus long tans mon esprit égarer,
Ou tempere mon mal qu’il se puisse endurer,
Ou m’enseigne à souffrir des douleurs si cruelles.


LXXXVII


Au nid des aquilons en la froide Scythie,
Où jamais le soleil ne se daigne lever,
Je ne puis, malheureux, de remede esprouver,
Amour, pour rendre en moy ta chaleur amortie.

Celle que de mon cœur l’exil n’a departie,
M’accompagne partout, partout me vient trouver,
Et parmy les rigueurs d’un éternel hyver,
Elle fait que mon ame en braise est convertie.

Mais le plus grand ennuy dont je suis tourmenté,
C’est de sentir le feu sans en voir la clairté :
Mon soleil luit ailleurs quand plus fort il m’enflame.

N’est-ce un presage seur qu’en bref je doy mourir ?
Je suis loin du plaisir qui me peut secourir,
Et porte en tous endroits le tourment de mon ame.