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C’est ainsi que la protection des Valois dégradait les talents. Leurs vices corrompaient les sources diaphanes de la poésie et changeaient en poisons ses flots sacrés. Jamais peut-être, depuis la Rome impériale, école de dépravation aussi odieuse et aussi complète n’infecta la littérature de ses enseignements. Desportes aurait pu y apprendre le vol et le meurtre aussi bien que les voluptés contre nature. Pendant cette courte résidence de trois mois, que le duc d’Anjou fit à Paris, eut lieu une scène de brigandage bien capable de le former, s’il avait eu des dispositions en ce genre.

Le roi de Pologne, avant son départ, voulut marier la Châteauneuf, sans doute pour se dispenser de l’entretenir durant son absence. Il avait, dans cette intention, jeté les yeux sur un citoyen très-riche, Duprat de Nantouillet, prévôt de Paris. Cet homme honorable se trouva peu flatté du rôle qu’on lui destinait et refusa péremptoirement la belle. Transporté de colère, le prince résolut d’en tirer vengeance. S’étant concerté avec Charles IX et le roi de Navarre, qui fut depuis Henri IV, il envoya dire au fier bourgeois qu’ils souperaient chez lui. Les trois têtes couronnées s’y rendirent en effet, ayant pour escorte une bande de courtisans, et l’on peut supposer que notre auteur était du nombre, car il suivait partout le roi de Pologne. Après le repas, les seigneurs fouillèrent les armoires et les coffres de Nantouillet, firent main basse sur ses deniers, sur sa vaisselle d’argent, lui volèrent plus de cinquante mille livres.

Le lendemain, le premier président alla trouver Charles IX et lui dit que toute la ville était émue de cette équipée nocturne. Le prince jura qu’il n’y avait point figuré, qu’on ne pouvait le soutenir sans calomnie.

— J’en suis charmé, dit le magistrat ; je vais ordonner une enquête et punir les coupables.

— Non, non, s’écria le prince, ne vous mettez pas en peine de cette affaire : dites seulement à Nantouillet qu’il aura trop forte partie, s’il veut demander raison du dommage qui lui est advenu[1].

Voilà comment s’exerçait le droit divin au seizième siècle, voilà comment on fortifiait le principe d’autorité.


    les flatteurs des rois sur la claie, dans son effroyable satire qui a pour titre Les Princes : ces vers le désignent clairement :

    Quand d’eux une Thaïs une Lucrèce est dite,
    Quand ils nomment Achille un infâme Thersite, etc.

  1. Journal de Henri III, par l’Estoile, t. I, p. 61 et 62, édition de Lenglet Dufresnoy.