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LXXX


Quand l’ombrageuse nuit nostre jour décolore,
Et que le clair Phœbus se cache en l’Occident ;
Au ciel d’astres semé les mortels regardant,
Prisent or’ ceste estoille, et or’ ceste autre encore.

Mais, si tost qu’à son tour la matinale aurore
Fait lever le soleil de rayons tout ardant,
Lors ces petits flambeaux honteux se vont perdant
Devant le roy du jour, qui tout le ciel décore.

Ainsi, quand mon soleil sa splendeur va celant,
On voit deçà delà maint astre estincelant,
Et le monde abusé mille dames revere.

Mais, dès qu’il apparoist, adieu, faibles clartez !
Tout objet s’obscurcit, et ce roy des beautez
Comme en son firmament dans tous les cœurs éclaire.


LXXXI


Que je suis redevable à la douce pensée,
Qui nourrit mon esprit de son bien séparé !
Jamais sans tel secours Je n’eusse tant duré,
Si fort de vos beautez ma poitrine est blessée.

Quand, par crainte ou respect, il faut force forcée
Que j’esloigne vostre œil dont je suis éclairé,
Je mourrois à l’instant triste et desesperé,
N’estoit ce reconfort de mon ame oppressée.

Marry, frere, vallets, ne sçauroient l’empescher
Que jusqu’à vostre lict ne se vienne approcher,
Vous voit, vous entretient, vous estime admirable.

Las ! si vous l’entendiez, que d’heur m’en adviendroit !
Car, vous disant mon mal, je sais qu’elle rendroit
Moy contant pour jamais, vous douce et pitoyable.


LXXXII


Amour, choisis mon cœur pour butte à tous tes traits,
Et bastis ta fournaise en ma chaude poitrine,
J’estimeray tousjours ta cruauté benine,
Ton deuil contentement, et ta guerre une paix.

J’ay veu tant de clartez, de thresors et d’attraits,
D’un œil doux, d’un beau front, d’une gorge yvoirine,
Et gousté la douceur d’une voix si divine,
Que j’oublie à bon droit les maux que tu m’as faits.

Ô celestes beautez, si pleines de merveilles,