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Amour pour ma douleur trouve en vous assez d’armes,
D’agréables langueurs, et de plaisans trespas.

Bref, toutes vos façons, beaux yeux, m’ostent la vie.
Hé donc pour mon salut, cachez vous, je vous prie !
Non, ne vous cachez point, mais ne me tuez pas.


LXXVIII


Ravy de mon penser, si hautement je volle,
Que je conte un à un les astres radieux ;
J’oy les divers accords du mouvement des cieux,
Et voy ce qui se meut sous l’un et l’autre pole.

Mais pourtant mon esprit si fort ne se console,
Et ne savoure rien de si delicieux,
Comme alors que je voy le rayon de deux yeux,
Et sens l’accord parfait d’une douce parole.

Quand j’ay l’heur de jouyr d’un bien tant souhaité,
Sans partir de la terre aux cieux je suis porté,
Et comprens du plus haut la gloire et les merveilles.

Ô ma seule deesse ! helas ! s’il est ainsi,
Regardez-moy tousjours d’un œil plein de mercy,
Et de vos doux propos ravissez mes oreilles.


LXXIX


Le tyran des Hebreux transporté de furie
Ne fit jadis meurtrir tant d’enfans innocens,
Que je tuë en maillot de pensers languissans ;
Et ne touche à celuy qui menace ma vie !

Car luy, desjà rusé, fuyant ceste furie,
Se sauve à la beauté qui domine mes sens ;
Et là, tout asseuré, rit des maux que je sens,
Et m’abuse sans fin par quelque tromperie.

Or’ en ses chauds regards ce penser se formant,
Or’ en ses doux propos mon esprit va charmant,
L’emprisonne et l’estreint en des chaisnes pesantes.

Helas ! c’est le malheur qui m’estoit destiné,
Et me presageoient deux estoilles luisantes,
Que je vey flambloyer sur le point qu’il fut né[1].


  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    Non con tanta ira sparse il fiero Erode
    Il puro sangue de i fanciulli Ebrei,
    Con quant’ io uccido in fasce i pensier miei ;
    Ne pero uccido quel, che ’l cor mi rode.