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LXXV


Sommeil, paisible fils de la nuict solitaire,
Pere-alme, nourricier de tous les animaux,
Enchanteur gracieux, doux oubly de nos maux,
Et des esprits blessez l’appareil salutaire ;

Dieu favorable à tous, pourquoy m’es-tu contraire ?
Pourquoy suis-je tout seul rechargé de travaux,
Or’ que l’humide nuict guide ses noirs chevaux,
Et que chacun jouyst de ta grace ordinaire ?

Ton silence où est-il ? ton repos et ta paix,
Et ces songes vollans comme un nuage espais,
Qui des ondes d’oubly vont lavant nos pensées ?

Ô frere de la mort, que tu m’es ennemy !
Je t’invoque au secours, mais tu es endormy,
Et j’ards, toujours veillant, en tes horreurs glacées.


LXXVI


Si le pasteur de Troye, éleu divinement
Pour juger des beautez de trois grandes deesses,
Desdaigna les grandeurs, la gloire et les richesses,
Pour la grecque beauté, prix de son jugement ;

J’en eusse fait autant : il fist fort sagement.
Car aupres de vos yeux pleins de douces richesses,
Quels thresors, quels honneurs, triomphes et hautesses
Pourroient mouvoir mon cœur, si ferme en vous aimant ?

Puis qu’estre pris de vous apporte tant de gloire,
Quel trophée assez digne orneroit la victoire
Du cœur qui, bien aimant, vous pourroit conquerir ?

Ô seul but de mes vœux ! ô bien que je n’espere !
L’or et les vains honneurs soient cherchez du vulgaire ;
Rien ne me plaist que vous, pour vous je veux mourir.


LXXVII


Rendez-vous plus cruels, beaux yeux qui me blessez :
Ce trait doux et piteux m’empoisonne et me tuë.
Ah ! non, durez ainsi : mon ame est combatuë
De trop de desespoirs, vous voyant courroucez.

Temperez seulement ces rayons élancez,
Trop clairs et trop ardans, qui m’offusquent la vuë ;
Mais ne les baissez pas : car mon mal continuë
Et mon espoir defaut, quand vous les abaissez.

Doux, cruels, humbles, fiers, gais et trempez de larmes,