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Bien que mon cœur d’ailleurs n’attende allegement,
Si faut-il que de crainte à trembler je me mette.

Car ainsi comme on voit la fatale comete,
Flambante en longs cheveux, n’apparoir nullement
Sans la mort d’un monarque, ou sans un changement,
Quand quelque seigneurie est pres d’estre sujette.

De mesme, helas ! je crain que ce divin flambeau
De ma foible raison presage le tombeau,
Ou qu’au moins je verray ma liberté restraindre.

J’ay peur qu’en pire estat on me fasse changer.
Mais, ô moy desolé ! j’en suis hors du danger.
J’ay tant et tant de maux, que plus je ne doy craindre.


LXXIII


Comme quand il advient qu’une place est forcée
Par un cruel assaut du soldat furieux,
Tout est mis au pillage, on voit en mille lieux
Feux sur feux allumez, mort sur mort amassée.

Mais si ne peut sa gloire estre tant rabaissée,
Qu’un arc, une colonne, un portail glorieux
N’eschappent la fureur du feu victorieux,
Et ne restent entiers quand la flamme est passée.

Ainsi durant les maux que j’ay tant supportez,
À la honte d’Amour et de vos cruautez,
Depuis que par vos yeux mon ame est retenuë ;

En dépit du malheur contre moy conjuré,
Mon cœur inviolable est toujours demeuré,
Et ma foy jusqu’icy ferme s’est maintenuë.


LXXIV


Celle qui de mon mal ne prend point de soucy,
Comme si de ses yeux il n’avoit sa naissance,
Se rit de mes douleurs, si tost que je commance
À me plaindre, en pleurant, de son cœur endurcy.

J’ay beau m’humilier et luy crier mercy,
Mercy de l’aimer trop (car c’est ma seule offense),
Elle en est plus rebelle, et se plaist que je pense
Qu’un courage si fier ne peut estre adoucy.

Ce n’est pas toutesfois ce qui plus me tourmente,
Car sa rigueur m’est douce et mon mal me contente,
Voyant mes beaux vainqueurs, ses yeux que j’aime tant.

Je me plains seulement de voir que la cruelle
Ne croit pas que je l’aime et m’appelle inconstant,
Ou dit que mes ennuis viennent d’autres que d’elle.