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Pour trebucher cent fois, foudroyé, desolé,
Je ne puis voir chetif la fin de mon envie.


LXX


Soucy chaud et glacé, que la crainte a fait naistre,
Et qui, craignant plus fort, devient plus violant,
Et pendant que la flamme et le gel va meslant,
Troubles, pers et détruis tout ce qu’amour fait croistre :

Puis qu’en si peu de tans tu t’es rendu mon maistre,
De cent chaudes fureurs mon esprit martelant,
Va, retourne au Cocyte et me laisse dolant,
Comme un tigre enragé de ma chair me repaistre.

Sur les glaces d’enfer passe, entre mille ennuis,
Sans lumiere tes jours et sans sommeil tes nuits,
Non moins troublé du faux que des seures nouvelles.

Va t’en : tout ton venin est entré dedans moy.
Je n’ay point d’autre sang ; helas ! doncque pourquoy
Me viens-tu retroubler par ces larmes cruelles ?


LXXI


Espouvantable nuict, qui tes cheveux noircis
Couvres du voile obscur des tenebres humides,
Et, des autres sortant, par tes couleurs livides
De ce grand univers les beautez obscurcis ;

Las ! si tous les travaux par toy sont adoucis
Au ciel, en terre, en l’air, sous les marbres liquides,
Or’ que dedans ton char le Silence tu guides,
Un de tes cours entiers enchante mes soucis.

Je diray que tu es du ciel la fille aisnée,
Que d’astres flamboyans ta teste est couronnée,
Que tu caches au sein les plaisirs gracieux ;

Des amours et des jeux la ministre fidelle,
Des mortels le repos : bref, tu seras si belle,
Que les plus luisans jours en seront envieux[1].


LXXII



Quand je voy flamboyer cette heureuse planette,
De notre âge imparfait l’admirable ornement ;

  1. Imité d’un sonnet italien qui débute par ces vers :

    Orrida notte, che, rinchiuso il negro
    Crin sotto ’l vel del l’umide tenebre,
    Da sottera esci, e di color funebre
    Ammanti il mondo e spoglilo d’allegro.