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Il ait reçeu l’amour dont je suis travaillé !
Le plaisir qu’il m’a fait mes douleurs recompense.

Aussi bien mes deux yeux couverts d’obscurité
N’eussent peu soustenir sa divine clarté,
Tant ils sont aveuglez de pleurer mon offense[1].


LXIV


Si doucement par son regard me tuë
Ce basilic de ma mort desireux,
Que je le cherche et me sens bien-heureux
En mon malheur d’estre pres de sa veuë.

D’aise et d’ennuy mon ame est toute émuë,
Quand je puis voir ces beaux yeux amoureux ;
De cent couleurs mon visage se muë,
Je tremble tout, et suis avantureux.

Qui penseroit d’une mesme fontaine
Pouvoir couler le repos et la paine,
Peur, hardiesse, ennuy, contentement !

Comme au chaos tout se mesloit ensemble,
Ainsi cet œil cent contraires assemble
Dans le chaos de mon entendement.


LXV


Si la fureur d’amour, rendant l’ame agitée,
La ravit dans le ciel de son corps l’élevant,
Et si l’ame rebelle et qui s’en va privant,
Tousjours foible et pesante en terre est arrestée ;

Que n’aimez-vous, deesse, afin d’estre portée
Par la fureur d’amour dans le ciel en vivant ?
Plein de ravissement je vous iroy suivant,
Et mon ame à son gré seroit lors contentée.

Cette ombre de beauté, qui vous fait renommer,
Quand vous seriez au ciel, se verroit transformer
En la beauté parfaite et d’essence éternelle ;

Tout volage desir en moy seroit esteint,
Regardant vostre cœur je m’y trouveroy peint,
Et vous verriez au mien votre image si belle.


  1. Imité d’un sonnet italien qui commence par cette strophe :

    Giunto nel tempo ove, fra mille belle,
    Madonna in loco occulto si sedea,
    Volsi gli occhi a guardar s’ io la vedea,
    Che ’l sol conoscer soglio infra le stelle.