Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LXI


Depuis deux ans entiers que j’aime une beauté,
Perle unicque du monde et sa fleur la plus belle,
Trois fois tant seulement j’ay peu parler à elle ;
Voyez de mon malheur l’estrange cruauté !

Encor ce doux loyer, que j’avois acheté
Par tant de passions et de peine immortelle,
Trois fois m’est empesché par la force cruelle
Du malheur envieux, dont je suis surmonté.

C’est, peut-estre, mon bien dont je n’ay connaissance ;
Car, si son œil divin m’oste toute puissance,
Me ravit, me transporte, et me rend furieux ;

S’il fait que sans espoir mon amour continuë,
Que feroient ses propos favorisez des yeux ?
Helas ! pour me tuer, c’est assez de la veuë !


LXII


Pour tant d’ennuis divers, tant de flamme et de glace,
Qui font en mon esprit un si contraire effort,
Pour mon repos perdu, mes pleurs, mon déconfort,
Et pour tant d’autres maux dont l’amour me menace :

Pour votre doux orgueil vainqueur de mon audace,
Pour avoir conjuré des premiers à ma mort,
Et fait que mon desir se maintienne plus fort,
Quand plus le desespoir luy veut donner la chasse ;

Ô beaux yeux qui pleurez tant de feux et de traits !
Je ne demande pas que m’accordiez la paix ;
Que vous soyez plus doux, que jettiez moins de flames :

Pour tout bien je requiers, que, croissans en rigueur,
Pour butte à tous vos traits vous choisissiez mon cœur,
Et que vous dedaigniez de blesser d’autres ames.


LXIII


J’estoy dans une sale ombragé de la presse,
Pour voir, sans estre veu, ma dame qui dansoit :
Le peuple à l’environ tout ravi s’amassoit,
Louant d’ame et de voix cette unique deesse.

En vain la voulant voir, sur les pieds je me dresse,
Car mon foible regard assez ne s’avançoit :
Mais mon cœur, s’enflammant ainsi qu’elle passoit,
Remarqua sans mes yeux les pas de ma princesse.

Dieu ! que j’aime mon cœur, bien que, mal conseillé,