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Que doy-je faire ? Il n’y a point pour moy
De dieux au ciel, ny de fortune en terre.

Dans les enfers cherchons donc allegeance,
Parmy l’effroy, les fureurs et les cris,
Accompagné des malheureux espris,
Qui pour ma peine oubliront leur souffrance.

Hastons la mort, seul but du miserable ;
Mais, tout ainsi que mes jours ont esté
Couverts d’ennuis, d’horreur, d’obscurité,
Soit mon trespas horrible et detestable.


LIX


Amour, si j’ay souffert, fidelle à ton empire,
Sans me lasser de toy, tant d’ameres douleurs ;
Si je t’ay tant de fois abbreuvé de mes pleurs,
Et si tes plus beaux traits en mon cœur je retire ;

Volle vers la beauté qui me tient en martire,
Et qui fait que tu as tant de force en nos cœurs,
Amolli son courroux, adouci ses rigueurs,
Et fay que son bel œil recommence à me luire.

C’est le douzième jour que cet œil courroucé
Entre mille dangers sans clarté m’a laissé,
N’ayant pour me guider que ma flamme immortelle.

De grace, en ma faveur, Amour, va la blesser ;
Ou si tu la crains trop, et ne m’en veux laisser,
Tire de mon cœur mesme et frappe la cruelle.


LX


Si les pleurs que j’espans, si le triste langage,
Dont la nuict et mon lict sont témoins seulemant,
N’ont pouvoir d’amollir un cœur de diamant,
Et ne font de pitié pallir son beau visage ;

Pourquoy me reservé-je à languir davantage
De Fortune et d’Amour l’horrible esbattemant ?
Plustost dedans le sang noyons nostre tourmant,
Et nous sacrifions à cette ame sauvage.

Je l’accuse à grand tort ; car son cœur de rocher
De mes poignans regrets se laisseroit toucher,
Si je pouvoy me plaindre alors qu’elle est presente.

Mais le son de ma voix se change en la voyant,
Mon œil se rasserene et n’est plus larmoyant,
Et ma langue se taist bien que mon cœur lamente.