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LVIII


Tourne, mon cœur, ailleurs ton esperance,
Laissant le bien vainement desiré ;
Pour un mortel c’est trop haut aspiré,
Il faut couper l’aile à notre arrogance.

Amour ingrat, est-ce la recompance
D’avoir souffert, servy, prié, pleuré,
Et sans fléchir si long-tans enduré,
Qu’on me reproche aujourd’huy l’inconstance ?

Plein de fureur, je ne fay que songer
Que je doy faire, afin de me venger
Des fiers courroux d’une ame si rebelle.

C’est le meilleur de me donner la mort :
Car je ne puis luy faire plus de tort,
Qu’en la privant d’un qui est tout à elle.


COMPLAINTE


Quelle manie est égale à ma rage ?
Quel mal se peut à mon mal comparer ?
Je ne sçauroy ny crier ny pleurer,
Pressé du deuil qui grossist mon courage.

Helas ! j’estouffe, et la fureur soudaine
Me clost l’ouye, et m’aveugle les yeux ;
Mais ce m’est heur de ne voir plus les cieux,
Les cieux cruels, coupables de ma paine.

Au vase estroit maintenant je ressemble,
Qui, tout plein d’eau, goute à goute la rand ;
Mon œil aussi larme à larme respand
Ce qu’en mon cœur de rivieres j’assemble.

Maudit le jour que premier je vey luire,
Pour estre esclave à si forte douleur !
Le ciel alors pleurant tout son malheur,
Versa sur moy ce qu’il avoit de pire.

Astres maudits, qui trop pleins de licence,
Maux et plaisirs aux humains destinez,
Puis qu’en naissant de nous vous ordonnez,
Que nuist la faute, ou que sert l’innocence ?

Helas ! de rien ! j’en puis servir de preuve,
Qui n’ay jamais un tourment merité ;
Et toutesfois par vostre cruauté
Plus miserable au monde ne se treuve.

Tout est bandé pour me faire la guerre,
Par mes amis mille ennuis je reçoy ;