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Enfin la nuict, à son tour commandant,
Par sa fraicheur esteint l’ardeur cuisante,
Couvre de noir toute chose plaisante,
Et le sommeil va sur nous respandant.

Ainsi la mort, de ma flamme cruelle,
Flamme d’Amour, la fureur esteindra ;
Et pour jamais le sommeil me tiendra,
Couvrant mes yeux d’une nuit éternelle.


LIII


Bien qu’une fièvre tierce en mes veines boüillonne,
De cent troubles divers mon esprit agitant,
Medecins abusez, ne dites pas pourtant
Qu’une humeur cholericq’ ces tempestes me donne.

Je suis trop patient, je n’offence personne,
Et vay de mes amis le courroux supportant,
Tout paisible et tout coy, sans qu’en me despitant
Je remasche un venin, qui le cœur m’empoisonne.

Celle dont l’influence altere mes humeurs,
Qui fait par sa rigueur qu’avant l’âge je meurs,
Est cause de ma fièvre, et non pas la colere.

Las ! je n’ay point de fiel ! car je voudroy donner
Cent baisers, en mourant, à ma belle adversaire,
Pour monstrer que ma mort je sçay bien pardonner.


LIV


S’il n’y a rien si froid ne si glacé que celle
Qui me fait par ses yeux sans pitié consommer,
D’où peut-elle en nos cœurs tant de flammes semer,
Veu que le sien est pris d’une glace éternelle ?

C’est un estrange cas que l’ardeur immortelle
Qui a source en ses yeux, ne la puisse allumer ;
Semblable au beau soleil qui peut tout enflamer,
Bien qu’il n’ait point en soy de chaleur naturelle.

Seroit-ce point Amour, le tyran sans mercy,
Qui, frappant de ses traits sur son cœur endurcy,
Fist saillir tout ce feu pour consommer nos ames ?

Comme on voit un caillou refrapé maintesfois
Par force avec du fer, servir d’amorce au bois,
Et sans devenir chaud faire jaillir des flames.


LV


Vous n’estes point mes yeux, ô trompeuse lumiere
Par qui le trait d’Amour dans le cœur m’est venu ;