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La flamme retenüe enfin par violance
Brise la pierre vive, et rompt l’empeschement ;
Les aquilons mutins, soufflans horriblement,
Tombent le chesne vieux, qui fait plus de deffance.

Mais moy, maudit Amour, nuict et jour soupirant,
Et de mes yeux meurtris tant de larmes tirant,
Tant de sang de ma playe, et de feux de mon ame ;

Je ne puis amollir une dure beauté,
Qui, las ! tout au contraire accroist sa cruauté
Par mes pleurs, par mon sang, mes soupirs et ma flame.


LII


Bien que le mal d’Amour, qui me rend furieux,
Passe tout desespoir d’un amant miserable,
Si ne m’en plains-je point, et le trouve agreable,
Car ce qui vient de vous m’est tousjours gracieux.

Je reçoy plus de bien à mourir pour vos yeux,
Qu’à vivre au gré d’une autre à mes vœux favorable ;
Tant peut l’affection d’une chose honorable,
Qui fait aimer sa perte et en estre envieux !

Mais si, vous adorant d’un obstiné courage,
Vous ne croyez, madame, à mon palle visage,
A mes pleurs, à mes vers, et à mon déconfort ;

Quel espoir desormais faut-il plus que je suive,
Fors mourir devant vous ! Mais la preuve est tardive,
Quand le mal seulement se connoist par la mort.


STANCES


Quand au matin le grand flambeau des cieux,
Pere du jour, commence sa carriere,
La nuit s’envole, et sa belle lumiere
Mille thresors ouvre devant nos yeux.

Quand au premier le flambeau de mon ame,
Mon beau soleil à mes sens éclaira
Tout bas desir de moy se retira,
Ravi de voir les beautez de ma dame.

Mais, comme on voit Phœbus en s’avançant
Sur le midy plus de chaleur espandre,
Les vens cesser et la terre se fandre
Aux rais du chaud, nostre œil esblouyssant.

Ainsi la flamme éprise en mon courage,
Aux premiers jours blüettant doucemant,
Est creüe en force et me va consumant,
Troublant ma veuë au cours de mon voyage.