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XLVIII


Ô champs, cruels volleurs du bien qui me tourmente !
Ô prez, qui sous ses pas vous peignez de couleurs !
Ô bois, qui fus tesmoin de mes griéves douleurs,
L’heureux soir que j’ouvry ma poitrine brûlante !
Ô vent, qui fais mouvoir cette divine plante,
Te jouant amoureux parmy ses blanches fleurs !
Ô canaux tant de fois desbordez de mes pleurs,
Et vous, lieux écartez où souvent je lamante !
Puis qu’un respect craintif m’a de vous separé,
Puis que je ne voy plus l’œil du mien adoré,
Puis que seuls vous avez ce que seul je desire.
S’il ne m’est pas permis par la rigueur des cieux,
Champs, prez, bois, vent, canaux, et vous, sauvages lieux,
Faites luy voir pour moy l’aigreur de mon martire.


XLIX


La mort, qui porte envie aux plus rares beautez,
Couvrant toute clarté d’un tenebreux nuage,
Voulut fermer les yeux qui m’ont mis en servage,
Et punir d’un seul coup cent mille cruautez.
Amour, qui dans ses yeux prend ses traits indontez,
Tout aveugle qu’il est, conneut bien son dommage :
Ô mort ! s’escria-t-il, si tu fais cet outrage,
Tu nous rendras tous deux cent fois moins redoutez.
Laisse-moy dans ces yeux qui font que je commande,
Je feray desormais ta puissance plus grande,
Et rendray par mes traits ton bras victorieux.
La mort s’arresta court, oyant cette promesse :
Et le cruel Amour du depuis n’a eu cesse,
Faisant mourir tous ceux qui regardent vos yeux.


CHANSON


Blessé d’une playe inhumaine,
Loin de tout espoir de secours,
Je m’avançe à ma mort prochaine,
Plus chargé d’ennuis que de jours.
Celle qui me brûle en sa glace,
Mon doux fiel, mon mal et mon bien,
Voyant ma mort peinte en ma face,
Feint, helas ! n’y connoistre rien.
Comme un roc à l’onde marine,
Elle est dure aux flots de mes pleurs :