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LES AMOURS D’HIPPOLYTE.


XL


Quand premier Hippolyte eut sur moy la victoire,
Et que j’ouvry mes yeux au jour de sa beauté,
Je ne sçay qu’il m’advint, je fus si transporté,
Que de moy-mesme, helas ! je perdy la memoire.

Mes sens estoient ravis en l’amoureuse gloire,
Et mon œil esblouy de trop grande clarté,
Craignant ses chauds regards, s’abaissoit arresté
Sur son beau sein d’albatre et sa gorge d’yvoire.

Je senty mal et bien, chaud et froid à l’instant :
J’esperay sans espoir, j’eu peur, j’osay pourtant,
Et parlay dans mon cœur mainte chose inconnuë.

Je le fortifiay pour les maux à venir,
Et, pour mieux y penser, chassay le souvenir
De toute autre beauté que devant j’avoy veuë.


XLI


Je ressemble en aimant au valeureux Persée,
Que sa belle entreprise a fait si glorieux,
Ayant d’un vol nouveau pris la route des dieux,
Et sur tous les mortels sa poursuite haussée.

Emporté tout ainsi de ma haute pensée,
Je vole avantureux aux soleils de vos yeux,
Et voy mille beautez qui m’elevent aux cieux,
Et me font oublier toute peine passée.

Mais, helas ! je n’ai pas le bouclier renommé,
Dont contre tous perils Vulcan l’avoit armé,
Par lequel sans danger il peût voir la Gorgonne :

Au contraire à l’instant que je m’ose approcher
De ma belle Meduse, inhumaine et felonne,
Un trait de ses regards me transforme en rocher.


XLII


Ô doux venin mortel ! ô guide tromperesse !
Ô l’oubly gracieux des plus griéves douleurs !
Ô laz subtil d’Amour, couvert de belles fleurs !
Ô nouvelle sereine ! ô douce enchanteresse !

Ô paix instable et fausse ! ô puissante deesse,
Qui fais durer l’amour, et qui crois ses chaleurs,
Esperance, où es-tu ? las au fort des malheurs
Maintenant sans pitié ton secours me delaisse !

Ce fus toy qui me fis folement hazarder,