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Et chante en regardant le feu victorieux,
Laissant de sa rigueur à jamais temoignage.

Celle qui de mon cœur tient le gouvernement,
Fait ainsi l’inhumaine en mon embrasement :
Elle rit de mes pleurs, mon malheur est sa gloire.

Son bel œil s’esjouyt de me voir tourmenté,
Et se plaist de laisser en mes vers la memoire
De ma flamme éternelle et de sa cruauté[1].


XXXVIII


Loin du nouveau soleil en mes vœux adoré,
Qui pour luire autre part sa clarté m’a ravie,
Comment puis-je tant vivre éloigné de ma vie,
Sans ame et sans esprit, palle et défiguré ?

Mille plus fors que moy n’eussent pas tant duré,
Et la mort aussi-tost leur tristesse eût bannie :
Pourquoy donc du trespas n’est la mienne finie,
Veu que pour mon secours je l’ai tant desiré ?

J’en sçay bien la raison : Ceste mort trop cruelle,
Voyant dedans mon cœur vostre image si belle,
Se retire étonnée et retient son effort.

Ô destin rigoureux d’un amant miserable !
En peinture et de loing vous m’estes favorable :
Mais vraye, et pres de vous, vous me donnez la mort.


XXXIX


Si ceste grand’ beauté, tant douce en apparence,
Ne couvre, ô ma deesse ! un cœur de diamant,
Vous plaindrez mes douleurs, quand vous verrez commant
Amour m’a travaillé loin de vostre presence.

Mais, las ! je m’entretiens d’une vaine esperance :
Car, si mon foible esprit dure assez longuement
Pour vous revoir, madame, une seule influence
Du soleil de vos yeux guarira mon tourment.

Mon ame ores tenüe en langueur inhumaine,
Oubliant sa douleur paroistra toute saine,
Et les rais de vos yeux mes pleurs iront seichant.

Voilà comme un bel œil de deux sortes m’offance,
Me blessant à la mort et puis en m’empeschant
Que je ne puis monstrer ma mortelle souffrance.


  1. Imité d’un sonnet italien de Jean Mozarillo qui débute ainsi :

    Mentre i superbi tetti a parte a parte
    Ardean di Roma, etc.