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LES AMOURS D’HIPPOLYTE.

Et que d’une aile pronte, au travail continuë,
S’élevant sur tout autre il se perd dans la nuë.

Moy donc, qui dresse au ciel mon vol avantureux,
Doy-je pas me nommer l’aigle des amoureux ?
Car, si l’aigle regarde un soleil plein de flame,
Je soustien fermement les deux yeux de ma dame,
Deux soleils flambloyans de rayons éclaircis,
Et qui d’ombreuse nuit ne sont jamais noircis.

Lorsque sans y penser par fortune j’advise
Ces amans abusez, qui ont l’ame surprise
De quelque autre beauté, je me sens bien-heureux
D’estre ainsi que je suis pour ses yeux langoureux,
Et plains leur passion comme mal despenduë,
Croyant qu’en autre part toute peine est perduë ;
Et dy en m’estonnant : Dieu ! quel aveuglement
Trouble si fort leurs yeux et leur entendement
Qu’ils n’aiment pas ma dame ! Amour, qui les offance,
Se monstre en leur endroit enfant sans connoissance.

De moy, rien que cet œil ne m’eust sçeu faire aimer,
L’ardeur d’autre desir ne pouvoit m’enflamer,
Un trait moins aceré n’eust mon ame blessée,
Et de moins blonds cheveux ne l’eussent enlacée :
Autre amoureux propos ne m’eust pas enchanté,
Et n’eusse point languy pour une autre beauté :
Amour, je te pardonne, et ne fay plus de plainte,
Puis que si belle flèche en mon sang tu as tainte.
Car, pris en si haut lieu, j’aime tant mon tourment,
Qu’en l’assaut des douleurs je me plains seulement
Que si tard sa beauté mon ame ait retenuë,
Et porte envie aux yeux qui devant moy l’ont vuë.

Ah ! qu’Amour m’a fait tort de m’avoir tant celé
L’heur où le ciel m’avoit en naissant appelé !
Amans desesperez qui l’avez tant servie,
Chargez de mille ennuis, que je vous porte envie !
Las ! pourquoy, malheureux, ai-je tant attendu ?
Je voudroy, comme vous, m’estre plustost perdu,
Sans avoir si long-tans fait errer mon courage
Au gré de mille amours, inconstant et volage.

Mais je me plains à tort : mon bon-heur a souffert
Que j’aye aimé devant, pour estre plus expert,
Et sçavoir mieux couvrir mon amoureuse flame,
Quand les yeux d’Hippolyte auroient forcé mon ame :
L’experience apprend. En ce commencement,
Pour estre un jour parfait j’apprenoy seulement :
Helas ! pour mon malheur j’en ay sçeu trop apprendre !
Heureux qui n’y sçait rien, et n’en veut rien entendre !