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Un debat apres l’autre en l’esprit lui revient.
Ainsi je rêve, helas ! quand ma fièvre me tient,
Chaude fièvre d’Amour inhumaine et contraire,
Dont je ne veux guarir quand je le pourroy faire.

J’erre égaré d’esprit, furieux, inconstant,
Et ce qui plus me plaist me desplaist à l’instant ;
J’ay froid, je suis en feu, je m’asseure et défie,
Sans yeux je voy ma perte, et sans langue je crie,
Je demande secours, et m’élance au trespas ;
Or’ je suis plein d’amour, et or’ je n’aime pas,
Et couve en mon esprit un discord tant extrême,
Qu’aimant je me veux mal de ce que je vous aime.

Il faut, en m’efforçant, cette pointe arracher
Qu’Amour dedans mon cœur a sçeu si bien cacher ;
Esteignons toute ardeur en nostre ame allumée,
Et n’attendons pas tant qu’elle en soit consumée.

Desjà je connoy bien que je sers vainement,
C’est de ma guarison un grand commencement ;
Mais las ! qu’en foible endroit j’assié mon esperance !
Aux extrêmes perils peu sert la connoissance.
Si je connoy mon mal je n’en pers la douleur ;
Connoistre et ne pouvoir, c’est un double malheur.
J’embrase ma fureur, la pensant rendre étainte,
Et voulant n’aimer plus, j’aime, helas ! par contrainte ;
Mais, si je pers mon tans sous l’amoureuse loy,
Quel autre des humains l’employe mieux que moy ?

L’un à qui le dieu Mars aura l’ame enflammée,
Accourcissant sa vie, accroist sa renommée ;
L’autre moins courageux, d’avarice incité,
Cherche aux ondes sa mort, fuyant la pauvreté ;
L’autre en la cour des roys brûlé de convoitise,
Pour un espoir venteux engage sa franchise ;
L’autre fend ses guerets par les coultres trenchans,
Et n’estend ses désirs plus avant que ses champs.
Bref, chacun se travaille, et nostre vie humaine
N’est que l’ombre d’un songe et qu’une fable vaine.

Je suis donc bien-heureux d’avoir sçeu mieux choisir,
Sans loger icy bas mon celeste desir :
Un puissant dieu m’arreste et, pour gloire plus grande,
Il me met sous le joug d’une qui luy commande :
Sçachant ne pouvoir rendre autrement captivé
Mon esprit, qui tousjours au ciel s’est élevé.

L’aigle, courrier du foudre et ministre fidelle
Du tonnant Jupiter, roy des oyseaux s’appelle,
Pource que sans fléchir il soustient de ses yeux
Les traits ébloüissants du soleil radieux,