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LES AMOURS D’HIPPOLYTE.


Durant ces mois derniers que la terre est gelée,
Portant neige et frimats au lieu de belles fleurs,
Les vens par leurs soupirs, et le ciel par ses pleurs
Regrettent la richesse au printans estalée.

Et moy, versant des yeux une éternelle pluye,
Et laschant maint soupir par les vens emporté,
Je me plains, ne voyant la divine beauté,
Qui, comme un doux printans, faisoit fleurir ma vie.

Autour du Zodiac le soleil se promeine,
Tousjours en mouvement legerement dispos,
Madame, autour de vous, je tourne sans repos,
Et du point de sa fin recommence ma peine.


ELEGIE


Ayez le cœur d’un tigre ou d’une ourse cruelle,
Soyez, s’il se peut faire, aussi fiere que belle,
Riez de tant de pleurs sans profit respandus
Et des pas qu’apres vous si souvent j’ay perdus ;
Que vos yeux, dont les traits ma jeunesse ont desfaite,
Se dédaignent de voir la prise qu’ils ont faite,
Comme basse conqueste, et ne meritant pas
Que si brave guerriere en doive faire cas ;
Envenimez ma playe, et durez inhumaine.
Avec tant de rigueurs, c’est perdre vostre paine,
De penser qu’à la fin mon cœur, d’ennui lassé,
Cesse de poursuivir le chemin commencé.

Amour pour mon malheur croist sa perseverance ;
Puis de faire autrement je n’ay plus de puissance,
Semblable au marinier par les vents emporté,
Qui ne peut retourner au port qu’il a quitté ;
Ainsi ma course, helas ! ne peut estre arrestée,
Le trait est décoché, la chance en est jettée,
Et sans espoir de mieux, il faut perseverer :
C’est heur au malheureux de ne rien esperer.

Lors que de vos regards mon ame fut éprise,
Et que j’osay penser la superbe entreprise
De vous offrir mon cœur, si je m’estoy promis
Quelque douce faveur de vos yeux ennemis,
J’auroy juste raison d’accuser sa promesse,
Rechargé coup sur coup de nouvelle tristesse ;
Mais lors que je vous vey, ce grand maistre des dieux,
Pour mieux vous contempler, me debanda les yeux,
Et voyant que mon ame erroit toute égarée
Parmy tant de beauté de luy-mesme adorée,
Pour retenir mon cœur tout prest à déloger,