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Ainsi endoctrinée, la belle Châteauneuf céda aux ardentes sollicitations du prince. Le poëte n’y perdit rien, car le duc d’Anjou lui donna trente mille livres comptant, sous prétexte de l’engager à publier ses poésies[1]. C’était un cadeau magnifique, attendu que cette somme représenterait de nos jours une centaine de mille francs, pour le moins. Jugez par là de l’importance que le duc attachait à sa victoire !

Desportes ne se contenta point de parler à mademoiselle de Châteauneuf pour son protecteur ; il lui adressa lui-même des éloges et des félicitations, comme un admirateur de sa beauté sans doute, mais aussi comme un homme charmé d’avoir obtenu un succès mémorable dans une entreprise importante et lucrative[2].

Mais le duc d’Anjou ne put rester longtemps auprès de sa maîtresse. En 1573, il fut obligé de partir pour aller commander le siége de la Rochelle. Le prince réclama les bons offices de Desportes et lui demanda un pathétique morceau d’adieu. Les strophes que le poëte écrivit alors respirent la langueur et ont un caractère bien différent de celles qui avaient préparé l’amoureux triomphe de Charles IX. Ici encore notre auteur fit preuve de jugement et d’adresse. Le roi, préoccupé de sa gloire, luttait contre son amour ; le duc s’y abandonne sans résistance et dédaigne même la renommée, pourvu qu’il soit heureux :

J’aimerois beaucoup mieux que le ciel m’eût fait naître
Sans nom et sans honneur, pourvu que je pusse être
Toujours auprès de vous doucement langoureux,
Baiser vos blonds cheveux et votre beau visage,
Et n’avoir d’autre loi que votre doux langage.
J’aurois assez d’honneur, si j’étois tant heureux !

Ce ne sont pas là les fiers accents de Charles IX[3].

  1. Claude Garnier tenait ce fait de Desportes lui-même, comme il nous l’apprend dans sa Muse infortunée. Après les vers que nous avons cités plus haut, il continue :

    Je le tiens de luy-mesme, et qu’il eut de Henry,
    Dont il estoit nommé le poëte favory,
    Dix mille escus, pour faire
    Que ses premiers labeurs honorassent le jour,
    Sous la bannière claire
    Et dessous les blasons de Vénus et d’Amour.

  2. Voyez le sonnet à mademoiselle de Châteauneuf, page 426, et celui qui concerne son portrait, pages 426 et 427.
  3. La pièce de vers, dans l’édition de 1611, porte la date de 1572 ; Henri n’alla néanmoins prendre le commandement de l’armée que le 11 février 1573 ;