Page:Œuvres de Philippe Desportes (éd. 1858).djvu/229

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Car au point qu’elle arrive à la fin de son cours.
Comme l’an, par sa fin, elle se renouvelle.

Que l’an donc à son gré diversement tournoye,
Et que le clair soleil marche par ses maisons ;
Amour dedans mon cœur fera quatre saisons,
Et mon cruel tourment tiendra la mesme voye.

Quand le bel œil du ciel, clair d’une douce flame,
Entrant au Mouton d’or les fleurs reverdira,
Amour, fils du Printans, dans mon cœur entrera,
Faisant naistre et fleurir les soucis en mon ame.

Et comme on voit alors couler toute fonduë
L’eau que le froid hyver en glaçons resserroit,
Amour, touchant mon cœur, qui glace demeuroit,
Le fera fondre en eau par mes yeux espanduë.

Si du porteur d’Europe aux Jumeaux il arrive,
Et sortant du printans il croisse les chaleurs,
Amour renforçera ma peine et mes malheurs,
Sans que je sorte, helas ! du joug qui me captive.

Et s’il laisse, arrivant au Lyon effroyable,
Le Cancre ardant de chaud, et de soif alteré,
Lors mon cœur, tout brûlant d’un feu demesuré,
Sentira malheureux un esté trop durable.

Durant cette saison le laboureur s’appreste
À cueillir le doux fruit des travaux endurez,
Moissonnant tout joyeux les espis blons-dorez,
Dont la mere Cerés va couronnant sa teste.

Et moy, pour tant de peine, helas ! trop mal semée
Au terroir infertil de vostre cruauté,
Je n’espere cueillir en l’amoureux esté,
Sinon perte de tans et de ma renommée.

Si, passant par la Vierge, il entre en la Balance,
Et qu’aux jours temperez il égale les nuits,
Amour, sans moderer mes durables ennuis,
Rendra ma peine égale à ma perseverance.

Comme en cette saison la verdure s’efface,
Que l’hyver puis apres fait mourir en passant,
Ainsi l’Amour cruel rend mon teint palissant,
Attendant que la mort de tout point me deface.

Et quand du Scorpion courant au Sagittaire,
Vers le cercle hyvernal Phœbus s’adressera,
Amour de mille peurs mon espoir glacera,
Ayant pour mon hyver vostre rigueur contraire.

Passant le Chèvre-corne et l’enfant de Phrygie,
S’il va d’un mesme cours les Poissons traverser,
Quel tropique assez froid lors pourray-je passer,
Amour, pour rendre en moy ta chaleur amortie ?