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Que je vey vos yeux rigoureux,
Quand les miens, nouveaux tributaires,
Rendirent mes sens et mon cœur
Aux chaisnes de vostre rigueur
Depuis liez comme forçaires.

Encor le forçaire arresté
S’allege en sa captivité,
L’espoir luy promet delivrance ;
Mais, en mon emprisonnement,
Je n’atten point d’allegement,
La mort seule est mon esperance.

Comme le chasseur va suivant
La beste qui volle devant,
Laissant celle qui se vient rendre ;
Ainsi la mort qui tout destruit,
Chasse apres celuy qui la fuit,
Et se dédaigne de me prendre.

Le jour que je fus asservy,
Je vey bien, lorsque je vous vey,
Mille beautez vous faire hommage,
Mille amours, mille et mille appas ;
Mais, ô chétif ! je ne vey pas
Mon mal peint en vostre visage.

Ravi de vos perfections,
Je ne peu voir les passions
Sortans des rais de vostre veuë ;
Non plus que le pasteur lassé,
Qui, dessus les fleurs renversé,
Ne voit le serpent qui le tuë.

Ce qui rend mon mal plus amer,
C’est qu’en souffrant pour vous aimer
Douleur qui ne peut estre dite,
Je n’en dois attendre aucun bien ;
Car toute peine est moins que rien,
Eu égard à vostre merite.

Si, vous aimant, j’ay trop osé,
Amour me doit rendre excusé,
C’est un enfant sans connoissance ;
De moy, quoy qu’il faille sentir,
Je ne me sçaurois repentir
D’avoir commis si belle offance.

Le plus souvent, en vous voyant,
La peur va mes sens effroyant,
Et le desespoir qui m’estonne,
Tout froid contre mon cœur se joint ;
Et donroy, pour ne vous voir point,